Un livre salutaire

Dans un essai à paraître fin septembre, deux universitaires américains posent sans détours le problème de l’influence du lobby pro-israélien sur la politique de leur pays.

Denis Sieffert  • 20 septembre 2007 abonné·es
Un livre salutaire
© Le Lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine, John J. Mearsheimer et Stephen M. Walt, La Découverte, 504 p., 20 euros. (À paraître le 27 septembre.)

Le 27 septembre, les éditions La Découverte publient un livre qui avait déjà une longue et tumultueuse histoire avant même ­ ce qui est un comble ­ d’avoir été écrit. Il s’agit de la traduction française d’un essai dont la version originale n’a été publiée que voici quelques semaines aux États-Unis. Ses auteurs sont deux universitaires de renom, John J. Mearsheimer, de l’université de Chicago, et Stephen M. Walt, de Harvard.En 2002, ils avaient entrepris, à la suite d’une commande du mensuel The Atlantic Monthly, une étude consacrée à l’influence du lobby pro-israélien sur la politique étrangère des États-Unis. Mais, quelque temps après la remise de leur article, la rédaction en chef du mensuel leur faisait savoir qu’elle renonçait à le publier. C’est finalement, en mars 2006, la London Review of Books qui acceptait de le porter à la connaissance du public. Immédiatement, les deux auteurs ont été la cible de violentes attaques, notamment par des chroniqueurs du Washington Post et du Wall Street Journal qui les ont accusés d’antisémitisme. D’une certaine façon, la boucle était bouclée puisque c’est précisément le mode d’action du lobby pro-israélien que dénonçait et démontait l’article…

Illustration - Un livre salutaire


Ariel Sharon s’adresse aux membres de l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC), à Washington, le 24 mai 2005.
KAMM/AFP

Dans la controverse, plusieurs journaux américains et israéliens, dont The Nation et Haaretz , proposaient au contraire à leurs lecteurs des comptes rendus sérieux et parfois élogieux de l’étude. Mais, devant l’ampleur prise par le débat, Mearsheimer et Walt ont décidé d’écrire le livre dont la version française sera donc disponible dans quelques jours. Il s’agissait pour eux à la fois de publier tout le fruit de leur énorme travail et de répondre aux arguments qui leur avaient été opposés.

Depuis la toute récente parution de leur essai aux États-Unis, la polémique n’a guère cessé. Dernier épisode en date, la brusque annulation d’une conférence à laquelle les auteurs avaient été invités par le Chicago Global Affairs Council. Un haut responsable ayant fait savoir aux auteurs que cette décision était dictée par la nécessité de « protéger l’institution ». Si l’on n’est guère étonné par les réactions suscitées, il faut cependant préciser que le livre n’a rien de polémique. C’est un essai de facture très universitaire, qui analyse l’influence d’un lobby pro-israélien ­ les auteurs récusent avec force le terme de « lobby juif » ­ sur la politique étrangère des États-Unis, en particulier bien sûr dans le conflit israélo-palestinien, mais aussi à propos de la guerre d’Irak et de l’Iran.

Mearsheimer et Walt dessinent les contours de ce lobby et retracent son histoire (voir l’extrait ci-contre) ; ils fournissent de multiples témoignages de son action, en particulier des pressions exercées sur les membres du Congrès et des campagnes menées contre ceux qui renâclent ; ils donnent la mesure proprement vertigineuse de l’aide économique, militaire et stratégique accordée inconditionnellement par les États-Unis à Israël, et sans que le pays bénéficiaire ait jamais le moindre compte à rendre [^2]
. Mais ils montrent surtout que cette politique d’alignement systématique des États-Unis sur Israël ne procède pas d’intérêts convergents. Elle est promue par le lobby en considération des seuls intérêts supposés d’Israël. Et, bien souvent, cette politique est contraire aux intérêts américains, ne serait-ce que par l’anti-américanisme qu’elle suscite dans le monde arabo-musulman. Et il n’est pas du tout certain qu’à long terme, cette politique soit conforme aux intérêts d’Israël. Ceux-ci ne laissent d’ailleurs pas indifférents Mearsheimer et Walt, qui se définissent eux-mêmes comme des « pro-israéliens » dans la mesure où « ils soutiennent [le] droit à l’existence [d’Israël] *, admirent ses nombreuses réussites* [et] souhaitent que ses citoyens vivent en sécurité et dans la prospérité et pensent que les États-Unis devraient se porter à son secours si jamais son existence était menacée » . Mais on sait bien que ces professions de foi, sans aucun doute sincères, n’immunisent pas contre la calomnie.

[^2]: Grâce à l’aide américaine, Israël a, par exemple, vendu des armes à la Chine sans que cela pose trop de problèmes au gouvernement fédéral ou au Congrès.

Monde
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