Des promesses, et après ?
Après plus de trois mois de travail, le Grenelle de l’environnement arrive à sa conclusion, mais les « grands programmes » promis sont renvoyés au 15 décembre. Le point sur ses avancées et sur ses reculades.
dans l’hebdo N° 973 Acheter ce numéro
Pompeusement annoncé par le gouvernement comme une « révolution écologique » à la française, le Grenelle de l’environnement, promis par le candidat Sarkozy pendant la campagne présidentielle, s’achève après deux journées de « table ronde » (24 et 25 octobre) avec une déclaration du Président. Ultime arbitre d’un processus qui aura mobilisé pendant plus de trois mois des centaines de représentants d’associations, de l’État, du patronat, des syndicats et des collectivités locales, il doit prendre acte des grands axes dégagés par ces discussions finales climat et énergie, biodiversité, santé environnementale, pratiques agricoles, déchets, gouvernance écologique, etc.
Au centre, J.-L. Borloo et N. Kosciusko-Morizet. AFP
Que l’on soit dupe ou non de la réelle conviction du gouvernement, le Grenelle de l’environnement aura marqué les esprits comme une nouveauté méthodologique, recyclant, quarante ans plus tard, les fameux « accords de Grenelle » de 1968, qui tentèrent, en vain, de sortir la France du marasme de la grève générale. Au point que les appels à « Grenelle » se multiplient ! Le haut commissaire aux Solidarités actives, Martin Hirsch, lance le sien sur l’insertion les 23 et 24 novembre, les pharmaciens en veulent un pour la santé, le président du Parti radical de gauche pour les retraites, etc. Pourtant, à l’heure de sa conclusion officielle, le Grenelle de l’environnement n’est encore qu’un catalogue d’annonces. À quoi aura-t-il servi ?
Ce qui a progressé
Après une campagne électorale marquée par l’émergence des questions d’écologie, le Grenelle a pris le relais, contribuant à la prise de conscience de la société française, particulièrement au sein des cinq collèges conviés à faire des propositions dans huit groupes de travail (voir ci-contre). L’exercice a fait grimper l’environnement dans la hiérarchie des préoccupations.
À part bien sûr pour les associations. Celles-ci ont souvent fait figure de « radicales », mais elles ont été consacrées comme interlocuteur de rang égal à celui des partenaires traditionnels des pouvoirs publics : avec les scientifiques, elles sont dépositaires d’une expertise et d’une expérience de terrain incontestables.
L’idée d’un possible « pacte social » fait aussi son chemin pour affronter les immenses chantiers ouverts par la crise écologique planétaire. Le Grenelle de l’environnement a fissuré le schéma de décennies de cogestion des politiques publiques par l’État et les grands lobbies (industrie, agriculture, etc.), complices de l’accroissement des pollutions et des dérèglements. On a régulièrement vu le collège patronal reprocher au ministère de l’Écologie, du Développement et de l’Aménagement durables (Medad) une trop grande proximité avec les associations. Des constats partagés se sont imposés sur de nombreux sujets, de même qu’un consensus sur des mesures « à caractère positif » : programmes de rénovation thermique des bâtiments, croissance de l’agriculture biologique, promotion des modes de transport propres, progression du tri et du recyclage des déchets, etc.
Ce qui est loin d’être acquis
Le gouvernement a eu pour préoccupation constante de brider les velléités d’autonomisation du processus. Jean-Louis Borloo a rempli une mission importante en conservant la main sur la phase finale du travail collectif : au Grenelle les intentions fortes, au Président l’établissement de la feuille de route, à savoir la définition de « quinze à vingt grands programmes structurants ». Leurs contours finaux auraient dû être connus à l’issue de la table ronde finale, le nouveau calendrier transmis par le Medad fixe finalement l’échéance au 15 décembre.
Passé le 25 octobre, les associations risquent donc de devenir spectatrices de cette étape décisive, dépourvues de moyens de pression. Pesant sur l’élaboration d’objectifs consensuels et sur la clarification des sujets conflictuels, elles n’ont jamais été en mesure de « claquer la porte ».
D’autres incertitudes se profilent : quelle conclusion législative ? Une « loi d’orientation et de programmation » sera proposée au Parlement au premier semestre 2008, elle n’aura rien d’une formalité. L’Assemblée nationale et le Sénat ont observé avec méfiance les travaux de cet ersatz de parlement collégial concurrent, et leurs « groupes de suivi » annoncent aujourd’hui leurs priorités : réalisation d’un « bilan des lois existantes et des travaux menés par les missions parlementaires » (une énième introspection ?), la « définition précise des objectifs à atteindre » (un contre-Grenelle ?), etc.
Autre limite, les articulations internationales ont été négligées : ce Grenelle est d’abord une catharsis nationale dans un pays à la traîne en matière d’écologie. Or, la France prendra la présidence de l’Union européenne au second semestre 2008.
Restera ensuite le suivi à long terme. Le ministre de l’Écologie a acté le principe d’un rendez-vous annuel de bilan des mesures adoptées (le 25 octobre) et la création d’un « comité de suivi ». Quelle composition, quelle mission, quels moyens ?
Ce qui est passé à la trappe
Au Grenelle, « pas de sujets tabous », slogan du gouvernement. Au chapitre énergie, on a donc évoqué la question du nucléaire, pour conclure… qu’elle était taboue. Nicolas Sarkozy l’avait décrétée par avance hors sujet, confirmant la construction du réacteur EPR et multipliant les signaux contrat avec la Libye, critique de la politique allemande d’abandon du nucléaire, etc. [^2].
Plus largement, rien n’indique que de vraies mesures de rupture seront adoptées. Le document de travail de la table ronde finale, préparé par le Medad, appelle certes « à un changement drastique de stratégie dans les transports […], la route et l’avion devant devenir des solutions de dernier recours », « à une rupture technologique dans le bâtiment » , « à mettre la biodiversité au centre des politiques publiques » , « à inventer […] une démocratie écologique », etc. Mais les lobbies industriels ont tout fait pour s’opposer à une limitation de la vitesse sur route, à l’abandon du développement du réseau autoroutier ou du parc d’incinérateurs de déchets, laissant dans le flou l’objectif de réduire l’usage des pesticides.
La création d’une véritable fiscalité écologique a également toutes les chances d’être ajournée. Taxant les activités émettrices de gaz à effet de serre, elle est considérée par de nombreux experts comme un levier indispensable pour limiter le dérèglement climatique. Mais le Medef n’en veut pas (sauf à mettre à plat toute la fiscalité) et, surtout, le Président n’aime pas les taxes « punitives ». On privilégiera donc une fiscalité « incitative », favorisant les achats de produits « verts », par exemple.
Un des groupes de travail s’est bien intéressé à « produire et consommer durablement », mais il n’a jamais été question que le Grenelle questionne sérieusement les fondements du modèle économique en vigueur, ni même ne l’écorne. « Notre objectif est de prouver qu’une autre croissance, compatible avec la préservation de la planète, est possible » , explique Jean-Louis Borloo.
Quelques jours avant la conclusion du processus, ont été rendus publics deux rapports : les recommandations de la commission Attali sur la libération de la croissance, et l’évaluation du Centre d’analyse stratégique (CAS), conduite par Jean Syrota, des perspectives énergétiques françaises à l’horizon 2050. Le premier préconise une dynamisation de la consommation, la concentration et le renforcement du pouvoir des grands acteurs économiques et l’abandon du principe de précaution une sorte d’anti-Grenelle. Le second, sélectionnant ses hypothèses industrielles, estime que la France ne tiendra pas l’objectif de diviser par quatre ses émissions de CO2 d’ici à 2050. De quoi redouter que le 25 octobre n’ait mis en route qu’une simple « évolution écologique ».
[^2]: Le Réseau sortir du nucléaire publie deux scénarios à ce sujet : Comment sortir du nucléaire en cinq ou dix ans .