La raison des plus faibles

Le « code de la rue » reste en tête des revendications du Club des villes cyclables, en congrès à Lyon la semaine prochaine. L’enjeu : assurer un partage plus juste et plus sûr de l’espace public.

Ingrid Merckx  • 11 octobre 2007 abonné·es

Des centaines de milliers de cyclistes roulent au quotidien dans les rues des villes françaises. Ils et elles le font dans des conditions dangereuses parce que les véhicules motorisés se sont accaparé la rue, avec le soutien des pouvoirs publics et au mépris des usagers de la voirie les plus vulnérables. Alors oui, pour essayer de devancer la meute motorisée (son bruit, ses odeurs…), il arrive aux cyclistes de passer au rouge, comme le fait n’importe quel piéton ; et alors oui, il leur arrive aussi de prendre un sens interdit, parce qu’il est moins dangereux de croiser une voiture ou une moto que de se faire doubler par elles.~» Ainsi débute le Manifeste des sans-voie «~irresponsables~», qui, un peu sur le modèle du Manifeste des 343 salopes, reconnaissent aujourd’hui désobéir au sacro-saint code de la route pour protéger le droit de circuler dans la rue autrement qu’en voiture sans se mettre en danger.

Cet aveu se double d’une forme d’engagement citoyen puisqu’il n’est pas seulement question de défendre son intérêt dans ladite déclaration mais de prendre en compte celui de l’autre, a fortiori plus vulnérable. «~Je déclare que je suis l’un-e de ces cyclistes~: légitime, mais illégal-e (du moins en France). Je déclare avoir brûlé un feu, avoir pris un sens interdit. Je déclare que, pour ma sécurité, je continuerai à le faire, dans le respect absolu des piétons et sans gêner les autres usagers, tant que n’aura pas été mis en place le code de la rue que nous réclamons. »

Ce fameux code de la rue que les vélorutionnaires, vélofriendly , patineurs, trottineurs, piétons, personnes à mobilité réduite, poussettes… appellent de leurs voeux depuis des années peine à voir le jour. En 2005, le projet avait pourtant le vent en poupe~: le Club des villes cyclables en avait fait sa mesure de l’année, et Dominique Perben, alors ministre des Transports, avait nommé un monsieur vélo (Hubert Peigné, en poste depuis avril 2006) et une commission chargée de plancher sur le sujet. Depuis, plusieurs partenaires se sont réunis pour discuter des modalités de réécriture ou d’amendement du code de la route~: le Club des villes cyclables, la Fédération française des usagers de bicyclettes (FUBicy), la Sécurité routière, le Centre d’études réseaux, transports & urbanisme (Certu), le Comité de liaison pour l’accessibilité (Coliac), les Droits du piéton, le Groupement des autorités responsables de transports (Gart), la Prévention routière…

« Première bonne surprise : pas d’opposition majeure » , note Véronique Michaud, secrétaire générale du Club des villes cyclables. Notamment parce que tous les usagers ont été associés dès le départ aux discussions. Même les motards sont entrés dans le débat. En revanche, les représentants des transports publics y participent plutôt timidement, et le contradicteur numéro 1 ­ le « lobby automobile » ­, pourtant invité, brille par son absence. Auto-exclusion ? L’installation du service de prêt de vélos, Vélib’, en juillet dans la capitale, aurait été une belle occasion de promulguer le code de la rue. Occasion manquée. « On est inquiets, reconnaît Denis Baupin, président du Club des villes cyclables et adjoint (Verts) à la mairie de Paris. Le groupe de travail lancé par Dominique Perben est aujourd’hui largement encalminé par les services de l’État, notamment la Sécurité routière. » Avec Christophe Raverdy, de la FUBicy, ils ont tenu une conférence de presse à l’issue de la semaine de la mobilité pour demander, à l’heure du Grenelle de l’environnement, que le code de la rue aboutisse d’ici à l’été prochain. Ce que le 17e congrès du Club des villes cyclables, qui se tient les 17, 18 et 19 octobre à Lyon, sur le thème « Le vélo au rythme de la ville », ne manquera pas de rappeler.

L’usage de la voiture recule, d’après un récent bilan du ministère des Transports. Hausse des carburants, amélioration de l’offre des transports en commun, développement de service de vélos urbains : certains experts iraient même jusqu’à proclamer la fin de « l’automobiliste roi » et le début d’une nouvelle ère. Mais aucun signe de démocratisation n’est encore visible sur la voie publique. « Au nom d’un code de la route qui n’a été conçu que pour les véhicules motorisés, l’autorité publique ne trouve rien de mieux que de sanctionner ces cyclistes, au prix fort », poursuit le Manifeste des sans-voie « irresponsables ». Prétextant la poursuite des fraudeurs, les amendes taxant les cyclistes ont quadruplé à Paris cette année. « Répression cyclophobe » , tranche Denis Baupin (voir Politis n° 969). « L’assimilation cyclistes/automobilistes et la discrimination cyclistes/piétons contreviennent au principe constitutionnel de proportionnalité des délits et des peines », défend la FUBicy, qui rappelle que les infractions sont de gravités très différentes selon qu’elles sont commises par un automobiliste ou un cycliste. Généraliser le « double sens cyclable » et créer des « zones de rencontre », c’est-à-dire des zones à vitesse réduite où les usagers non motorisés (en particulier les piétons) sont prioritaires, font partie des trois principes phares retenus par la Commission « code de la rue ». Mais l’idée force d’un nouveau code serait le « principe de prudence », qui établit une responsabilité du plus fort par rapport au plus faible et propose de rééquilibrer les rapports de force sur la voie publique.

« Alors que 80 % de nos concitoyens vivent aujourd’hui en ville, nous continuons à penser et à nous référer à la route et non à la rue », s’impatiente Armelle Poitevin, de l’association Rue de l’avenir. La Belgique, pionnière en la matière, a passé le cap il y a déjà quatre ans. « Reprises sous l’intitulé de « code de la rue », d’importantes modifications ont donc été apportées au code de la route par l’arrêté royal du 4 avril 2003. D’application à partir du 1 er janvier 2004, elles visent avant tout à assurer un meilleur équilibre entre les différentes catégories d’usagers et à offrir une plus grande sécurité routière aux usagers doux », déclare dans son rapport Michèle Guillaume, responsable du département mobilité et infrastructure à l’Institut belge pour la Sécurité routière. Et d’expliquer que passer de la route à la rue, c’est « mettre en évidence que la voie publique n’est plus vouée uniquement à la fonction de circulation et que chaque usager de la voie publique y a sa place » .

Les Belges l’ont fait, pourquoi pas nous ?, s’époumone le Club des villes cyclables, fondé sur le slogan « Partageons la rue ». Mais il est difficile de passer d’une culture routière à une culture de l’espace public. « Et aucun ministre ne s’intéresse au vélo, malgré son succès », s’indigne Denis Baupin. Convaincues qu’il n’est pas seulement question d’environnement et de transports mais de vivre ensemble en ville, les collectivités prennent sur elles d’avancer en tentant ici ou là des « expériences codes de la rue ». Comme à Bordeaux, où les cyclistes peuvent passer sur la plate-forme du tramway, ou à Strasbourg, qui réclame l’autorisation de tester le « tourner à droite » au feu rouge. Sauf que les instances nationales freinent. Signe, selon Véronique Michaud, de « l’influence importante mais subtile du lobby automobile » . Encore en position de force.

Société
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