Le pouvoir de la gauche…

Le respect de la volonté populaire exprimée le 29 mai 2005 est entre les mains des députés et des sénateurs de la gauche. Sans eux, Nicolas Sarkozy n’a pas de majorité pour faire passer en force le nouveau traité.

Michel Soudais  • 11 octobre 2007 abonné·es

Ils ne l’attendaient pas si vite. Les vainqueurs du « non » de gauche au référendum du 29 mai 2005 sur le traité constitutionnel européen ont été pris de court. Encore sonnés par leur échec à l’élection présidentielle, ils n’imaginaient pas que les chefs d’État et de gouvernement s’entendraient aussi vite sur un nouveau traité européen. Surpris par la procédure éclair qui a permis d’aboutir, dès le 2 octobre, à un accord entre experts sur le texte d’un traité modificatif, ils s’apprêtent à rendre public, à la veille du sommet européen de Lisbonne, un appel à la mobilisation de tous les « partisans déterminés d’une Europe émancipée de [la] tutelle des puissances financières » , de tous ceux qui refusent « les politiques de domination agressive et les interventions militaires pour mettre en oeuvre de nouvelles relations internationales, notamment avec les pays du Sud » .

Cet appel, mis au point par Yves Salesse, constate que le nouveau traité « reprend l’essentiel de la constitution rejetée » et qu’ « aucune des principales exigences soulevées dans le débat sur le traité constitutionnel n’est prise en compte » , notamment en ce qui concerne les services publics, l’Europe sociale, le refus de la libre circulation des capitaux et du dumping fiscal, les missions de la Banque centrale européenne ou le fonctionnement démocratique de l’Union européenne, et entend le faire savoir. Il invite aussi les citoyens et les élus à « refuser que la démocratie et la volonté populaire soient bafouées et [à] exiger un nouveau référendum » .</>

Sans attendre, le Mars-Gauche républicaine a appelé « solennellement » lundi, dans un communiqué, « les parlementaires de gauche […] à rendre aux Français un débat qu’ils s’étaient, il y a deux ans, si bien approprié ». Ce type d’interpellation risque fort de se multiplier dans les jours qui viennent. Certains envisagent déjà d’inciter les citoyens à se manifester en ce sens auprès de leurs parlementaires pour exiger qu’un débat populaire soit organisé sur le nouveau traité. Avec deux arguments.

Le premier est le rappel des promesses électorales, encore récentes. Le projet du PS, dont se réclamaient tous les candidats de ce parti aux dernières législatives, refusait en effet toute ratification du « traité constitutionnel européen tel qu’il a été rejeté le 29 mai, même s’il est accompagné d’un nouveau préambule » . Il proposait en revanche « l’élaboration d’un Traité strictement institutionnel » qui, « une fois renégocié » , serait « soumis au peuple par référendum » . Un engagement repris dans le Pacte présidentiel de Ségolène Royal, dont il constituait la 91e proposition.

Le second argument est arithmétique. La majorité UMP-Nouveau Centre, même avec l’appoint des élus du MoDem, n’a pas la majorité requise pour ratifier le traité modificatif par la voie parlementaire. Ce traité modifiant l’organisation des pouvoirs de l’Union européenne, il nécessite une révision de l’article 88-1 de la Constitution de la Ve République. Celui-ci prévoit que la France « peut participer à l’Union européenne dans les conditions prévues par le traité établissant une constitution pour l’Europe signé le 29 octobre 2004 » . Cette référence étant caduque, il faut lui en substituer une nouvelle. « Or, pour cela, il faut un vote ratifié par une majorité des 3/5 du Parlement » (l’Assemblée nationale et le Sénat réuni en congrès), notait non sans malice Jean-Luc Mélenchon, au soir du second tour des législatives. Pour avoir cette majorité, il eût fallu que la gauche ait moins de 190 députés. Elle en a obtenu plus de 200.

La gauche est donc en mesure d’empêcher Nicolas Sarkozy de réaliser son coup de force. Du moins sur le papier. Car, en dépit des engagements du projet socialiste et du Pacte présidentiel, dont tous se réclamaient, contre aussi la synthèse du congrès du Mans, approuvée de tous, plusieurs élus socialistes ont déjà fait part de leur intention d’approuver le traité modificatif, avant même d’en connaître la teneur exacte.

C’est le cas du président de la délégation française au Parlement européen : « Je voudrais qu’aucun socialiste ne dise non » au futur traité, écrivait Bernard Poignant dans le Monde , dès la fin août. Cette approbation est, à ses yeux, l’une des « cinq pistes pour la rénovation du PS » , qui « ne peut pas devenir le Schtroumpf grognon de l’Europe » . Quelques jours plus tôt, à Melle, en prélude au meeting de rentrée de Ségolène Royal, son collègue Gilles Savary avait, lui aussi, été « très clair » en souhaitant que les socialistes adoptent « avec exigence » ce texte, qui n’est « pas un minitraité » mais « un vrai traité » .

Si les élus européens ne votent pas les révisions constitutionnelles et ne peuvent dispenser qu’un avis, la prise de position de Jean-Marc Ayrault est plus préoccupante. « Je le dis comme je le pense : le traité simplifié est une chance que nous n’avons pas le droit de laisser passer » , a déclaré le président du groupe PS à l’Assemblée nationale, le 17 septembre, lors de la journée parlementaire du PS. « J’en avais moi-même défendu le principe à l’Assemblée au lendemain du « non » à la Constitution , a-t-il ajouté. Le compromis de Bruxelles a réussi à mes yeux à dépasser le clivage du « oui » et du « non ». Sauf à ce que la conférence intergouvernementale vide le traité de cette substance, je considère que notre vote doit soutenir cette démarche. » Et il la soutient d’autant mieux qu’il a reconnu prôner, contrairement aux positions de son parti approuvées par l’ensemble des adhérents, que ce nouveau traité soit adopté par « la voie du Congrès » , ce qui est, pour lui, une occasion de renforcer les pouvoirs du Parlement.

Il s’agit là d’ « une position de Jean-Marc Ayrault » , a tempéré François Hollande. Embarrassé, le Premier secrétaire estimait qu’il était « trop tôt » pour définir la position du PS sur le nouveau traité. Seulement « trop tôt »…

Politique
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