Des « années de plomb » singulières
dans l’hebdo N° 974 Acheter ce numéro
Si, à la fin des années 1960, une part de l’extrême gauche dans différents pays s’engage dans la lutte armée, l’Italie connaît une montée de la violence politique dont l’ampleur est sans équivalent parmi les autres États industrialisés. Elle s’insère en effet dans ce que les historiens appellent la « stratégie de la tension ». Aujourd’hui bien documentée, celle-ci est conçue dès 1967 au sein de certains secteurs des forces de l’ordre liés à l’extrême droite et des services secrets proches de la CIA. Il s’agit de faire progresser dans l’opinion la demande sécuritaire, en développant l’agitation sociale et une violence diffuse.
Ainsi, alors que s’achève l’« automne chaud » de 1969 les plus grandes grèves ouvrières de l’après-guerre , une bombe explose le 12 décembre dans une banque de piazza Fontana à Milan, faisant plusieurs morts et blessés. Des anarchistes sont alors accusés, mais il apparaît rapidement que l’enquête se détourne volontairement de la piste la plus vraisemblable, celle de groupuscules d’extrême droite. Des militants d’extrême gauche parmi les plus conscients, fortement marqués par l’histoire de la Résistance italienne, décident alors de s’armer, autant contre « l’agression fasciste » que pour tenter d’ouvrir la voie à un processus révolutionnaire.
Dès lors, la violence ensanglante l’Italie. Les groupes d’extrême droite multiplient les attentats : déraillement du train express Italicus en 1973, bombe dans un meeting syndical àBrescia en 1974, plasticage de la gare de Bologne bondée, le 2 août 1980, qui fait plus de 80 morts et des centaines de blessés…
Or la justice italienne n’a jamais été aussi sévère pour les auteurs de ces attentats aveugles que pour les actes, d’abord sans effusion de sang, commis par les groupes armés d’extrême gauche. Ce n’est pas un hasard si le plus important d’entre eux par sa longévité et le nombre de ses militants, les Brigades rouges, se mettent à enlever, après quelques contremaîtres des usines où elles sont implantées, certains juges particulièrement féroces envers le movimento contestataire.
Après l’enlèvement et l’exécution d’Aldo Moro, président de la Démocratie chrétienne, la répression s’abat alors durement sur la plupart des organisations à la gauche du PCI. S’il faut quelques années à l’État pour vaincre l’extrême gauche armée, celle-ci a pourtant joui de soutiens importants : en 1980, le ministère de l’Intérieur estimait à 150 000 les soutiens potentiels aux clandestins et à près d’un million les personnes sympathisantes idéologiquement. Une ampleur sans commune mesure avec les groupes armés des autres pays industrialisés à la même époque.