« Il paraît que mon métier n’est plus pénible ! »
Jérémy Peron* a 33 ans. Il est machiniste receveur à Créteil. Il témoigne de ses conditions de travail.
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Je suis entré en 2004 à la RATP, à l’âge de 30 ans. Je travaille en horaires décalés dans un créneau allant de 4 h du matin à 2 h du matin, suivant les différents horaires qui me sont attribués. La durée de travail par service peut atteindre 7 h 30 en une seule fois et 8 h 15 en deux parties. Plus de 25 % des services qui me sont attribués sont des services en deux parties pouvant atteindre une amplitude de 13 heures, avec de longues coupures. Comme j’habite en Seine-et-Marne, je suis souvent obligé de passer mes journées à attendre au dépôt. Je commence souvent mes services au dépôt pour les finir en station, ou inversement, ce qui augmente la durée de mes services d’un temps de déplacement parfois important (en dessous de vingt minutes, ce temps n’est pas considéré). Mes repos sont en décalé sur des semaines allant jusqu’à 6 jours de travail consécutifs. Quand je travaille un dimanche ou un jour férié, je touche une prime d’environ 20 euros, qui peut augmenter en fonction du nombre de dimanches travaillés.
Mon salaire, sans les primes, est actuellement de 1 699 euros brut, sur lesquels on me prélève des cotisations, dont 12 % pour la retraite ; la cotisation retraite payée par la RATP est de 18,43 %. On me prélève également une contribution de 1 % dite de solidarité, parce que, prétendument, j’ai la sécurité de l’emploi, alors que mon emploi est le plus précaire de la RATP. Un machiniste qui perd son permis de conduire peut perdre son emploi, car c’est considéré comme une rupture de son contrat de travail.
Il paraît que mon métier n’est plus pénible, pourtant j’ai déjà été agressé plusieurs fois depuis que je suis machiniste, et les insultes sont quotidiennes dans l’exercice de ma profession. Dans la situation actuelle, je pourrais partir à 55 ans avec une pension représentant 60 % de mon dernier salaire des six derniers mois, sans les primes. Soit environ 1 625 euros brut, treizième mois inclus, au maximum du déroulement de carrière de ma catégorie. J’ai également travaillé sept ans et demi dans le privé, mais je ne pourrai prétendre aux revenus de retraite y correspondant avant 60 ans, et cela ne me rapportera pas grand-chose de plus. Pour obtenir une pension à taux plein de 75 % de mon salaire brut sans les primes, calculée sur 37,5 annuités, je devrais travailler jusqu’à 62 ans et demi, ce qui est impossible puisque les exigences de mon métier m’interdisent actuellement de l’exercer au-delà de 60 ans.
Avec la réforme, je perds 14,73 % sur ma future pension si je veux toujours partir à 55 ans, avec seulement 45 % de mon salaire des six derniers mois, sans les primes. Soit environ 1 200 euros brut, treizième mois inclus, au maximum du déroulement de carrière de ma catégorie. Si je veux continuer à toucher les 60 % de mon salaire des six derniers mois, sans les primes, que je touchais précédemment à 55 ans, je devrai travailler jusqu’à 58,5 ans. Si je veux toucher une pension complète équivalente à 75 % de mon salaire, sans les primes, je devrai travailler jusqu’à 66 ans, ce qui sera peut-être possible puisque la réforme prévoit de supprimer les mises à la retraite d’office. Le pire, c’est que les jeunes qui entreront en 2009 devront travailler cinq ans de plus que moi puisqu’il n’y aura plus de bonifications.
Il faut savoir que seulement un machiniste sur quatre fait une carrière complète au volant de son bus, beaucoup deviennent inaptes à leur emploi avant la fin de leur carrière. La réforme prévoit d’étudier les parcours professionnels, mais comme ma profession représente un tiers des effectifs de la RATP, et que cette proportion ne cesse d’augmenter, je vois mal comment on pourrait offrir une réorientation professionnelle à tous les machinistes de la RATP. De toute façon, je pense que l’on n’en restera pas là, et que ce n’est pas 40, ni 41 ans de cotisations qui m’attendent, mais 42, voire beaucoup plus d’ici à l’âge d’ouverture de mes droits à la retraite. Et mon entreprise telle qu’elle existe aujourd’hui n’existera peut-être même plus dans quinze ans, puisque l’Europe va nous imposer la mise en concurrence des transports publics de voyageurs. La direction a déjà programmé un effort de productivité de 2 % par an sur les dix prochaines années pour rester concurrentielle ; en équivalent emploi, cela représente 9 000 emplois. Mes conditions de travail ne risquent pas de s’arranger !