La rénovation à l’aveugle
Boudé par les ténors du parti, le premier « forum de la rénovation » du PS, consacré à la nation, a amorcé des révisions doctrinales sur l’égalité et l’Europe. Sans vraiment tirer un bilan des élections passées.
dans l’hebdo N° 978 Acheter ce numéro
C’est le grand chantier du parti socialiste. Depuis la défaite des élections présidentielle et législatives et jusqu’aux municipales, les socialistes sont engagés dans une réflexion de fond destinée c’est du moins l’objectif à ravir à la droite le leadership des idées et à préparer le congrès de l’automne 2008, en entérinant des évolutions censées recueillir un large consensus. Baptisée « rénovation », cette entreprise de redéfinition idéologique doit aboutir à clarifier la position du PS sur trois notions clefs : la nation, la mondialisation et l’individu. Ainsi en avait décidé le conseil national, fin juin, en adoptant à la quasi-unanimité le calendrier de débats que lui proposait François Hollande.
Kader Arif, François Hollande et Jean-Jacques Urvoas, lors du forum de la rénovation d’Avignon. GANGNE/AFP
Cinq mois plus tard, où en est-on ? Des commissions, constituées de représentants de toutes les sensibilités, sont en place. Dans l’indifférence médiatique, elles procèdent à des auditions de personnalités, recueillent des contributions, synthétisent les résultats de débats locaux. Sans parvenir à passionner des militants plus mobilisés par la préparation des élections municipales. Les ténors eux-mêmes ont renoncé à s’investir dans cette démarche. Soit qu’ils la jugent artificielle et trop timide au regard des remises en question auxquelles le PS devrait procéder pour se « moderniser » , c’est le cas notamment des « rénovateurs » autoproclamés comme Manuel Valls ou Gaëtan Gorce. Soit qu’ils refusent de participer à une entreprise conduite par le Premier secrétaire et susceptible de lui redonner un crédit qu’il a perdu.
C’est ainsi que le premier « forum de la rénovation », consacré à la nation, s’est tenu samedi dans un hall sans âme du parc des expositions d’Avignon, déserté par toutes les figures du parti, hormis… François Hollande. À peine plus de cinq cents militants ont pris place autour d’un « espace d’expression » posé à même le sol, sorte de ring symbolique sur lequel deux pupitres se faisaient face. En un peu plus de trois heures, une trentaine d’intervenants s’y sont succédé dans un brouhaha aux allures de débat participatif cher à Ségolène Royal. Mais d’échanges il n’y eut pas vraiment.
Certes, tous s’accordent à ne plus abandonner à la droite le thème de la nation, négligé depuis une bonne quinzaine d’années par le PS. Dans son introduction, Jean-Jacques Urvoas, responsable de ce forum et dirigeant de la fédération du Finistère, a rappelé le clivage entre la conception « nostalgique » de la nation portée par la droite, qui y voit « une solution de repli face à la mondialisation » , et la « vision dynamique » qu’en a la gauche, pour qui « la citoyenneté » prime sur « le sang » . Toutefois, les questions qui fâchent en sont restées à l’état de constat. Ainsi en est-il de la souveraineté populaire. Rapportant les réflexions de la commission sur le sujet, Catherine Tasca a estimé que « le cadre d’exercice » de cette souveraineté restait l’État-nation, qui demeure « le cadre pertinent de la démocratie politique » . Or ce dernier est « gravement remis en cause par trois phénomènes » : la mondialisation, la décentralisation et la montée des inégalités et des exclusions. S’agissant des moyens d’y remédier, le propos reste des plus flous.
Et c’est le représentant d’un collectif avignonnais regroupant Attac, le PCF, la LCR et les SUD, Latif Dehy, invité par Kader Arif à lire un message, qui a rompu le ronronnement des échanges en interpellant le PS sur l’exigence d’un référendum sur le traité modificatif européen et le moyen dont disposent ses élus pour bloquer la ratification parlementaire. Une intervention chaudement applaudie, mais ignorée de François Hollande, qui avait opportunément quitté son siège, à ce moment-là.
Dans son discours de clôture, le Premier secrétaire s’est employé à justifier sa démarche de rénovation par la nécessité de pallier un déficit de réflexion idéologique, sans évoquer sa part de responsabilité dans ce déficit, alors qu’à son arrivée les organisateurs lui avaient remis un bouquet de fleurs et une caisse de bouteilles de vin pour le 10e anniversaire de sa prise de fonction. Ignorées aussi les causes de l’échec électoral du printemps, puisque le simple fait de commenter dans des livres* « la campagne qui vient d’avoir lieu » revient, selon lui, à « ouvrir de vaines querelles » . François Hollande s’applique donc à revisiter le credo de son parti, sans bilan préalable des années écoulées. À l’aveugle…
Ce qui autorise toutes les révisions. Ainsi la « République métissée » , mise en avant par Ségolène Royal lors de sa campagne et largement admise depuis, conduit-elle à mettre davantage l’accent sur la fraternité que sur l’égalité, qui était pourtant un projet fédérateur traditionnel de la gauche. Pour tenir compte de la diversité des conditions et des aspirations des citoyens, François Hollande promet l’élaboration prochaine d’une « charte de la citoyenneté du XXIe siècle » .
Autre recul sensible : « Nous avions donné à l’Europe un rôle qu’elle ne pouvait pas avoir » , admet François Hollande en faisant son deuil d’une Europe qui serait « la France en grand » . Ce « cadre politique qui doit être organisé » , cet « espace qui doit être démocratisé » ne peut être selon lui qu’une « fédération d’États-nations » . En revenant à cette formule ancienne, M. Hollande abandonne le rêve d’une Europe fédérale et les harmonisations fiscale et sociale qui en étaient le corollaire.