Le pouvoir… de s’endetter
Le surendettement des particuliers explose en France. Une conséquence de la baisse du pouvoir d’achat, mais aussi une volonté politique de soutenir la consommation par le crédit, comme aux États-Unis.
dans l’hebdo N° 974 Acheter ce numéro
Se dirige-t-on vers une crise comparable à celle qui, aux États-Unis, touche depuis cet été plus de trois millions d’Américains, incapables de rembourser ces emprunts immobiliers à taux variables que l’on nomme subprimes ? Le Conseil économique et social (CES), qui a adopté le 24 octobre un rapport sur « le surendettement des particuliers », le laisse penser. L’ordonnance de 2006 sur le « droit de sûretés », ouvrant deux nouvelles formes de crédit, « l’hypothèque rechargeable » et le « prêt viager hypothécaire », s’attaque au logement des personnes déjà endettées et se rapproche des fameux subprimes qui ont mis à la rue de nombreux Américains. « Ils ouvrent l’accès au crédit à la consommation à des personnes ne disposant pas de revenus suffisants ou ayant emprunté au maximum de leurs possibilités, mais possédant des éléments de patrimoine immobilier les garantissant sous forme d’hypothèques. À mesure que le crédit est remboursé, la réserve de droit à crédit se reconstitue. Si le crédit n’est pas recouvré, le bien immobilier est vendu » , pointe l’assemblée consultative.
L’endettement des particuliers fait la fortune des entreprises.
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Cet exemple est révélateur d’un cercle vicieux : la baisse du pouvoir d’achat et l’explosion du surendettement touchent de plus en plus de personnes en « situation de précarité ou de pauvreté, [pour qui] le recours au crédit est devenu un moyen de combler l’insuffisance structurelle des ressources » , estime aussi le CES. En 2006, 700 000 ménages ont déposé un dossier de surendettement, et le nombre ne cesse d’augmenter. Le CES estime que 6 millions de personnes connaissent des difficultés pour rembourser leur crédit. De son côté, l’Observatoire de l’endettement des ménages affirme que 50,9 % des ménages français détiennent au moins un crédit. Le constat est clair pour le CES, qui appelle « à une grande prudence et à la mobilisation d’urgence des pouvoirs publics sur ce « malendettement » » et dénonce cette double peine « dont est victime une large partie de la population confrontée aux accidents de la vie » . La Banque de France estime en effet à 73 % les cas de surendettement dû au chômage, à la maladie ou à un divorce.
En revanche, la position des pouvoirs publics sur la question est moins claire. Pas un mot de la ministre de l’Économie, Christine Lagarde, lors de la conférence sur l’emploi et le pouvoir d’achat, qui s’ouvrait le 23 octobre. Pour elle, le problème du pouvoir d’achat est à chercher du côté d’ « un coût global du travail trop élevé et d’un marché du travail trop peu fluide » , qui pénalisent l’activité des entreprises. Pourtant, celles qui vivent de l’endettement des Français voient leurs profits exploser. En 2004, les trois plus gros établissements financiers français (LCL, BNP-Paribas et Société générale) réalisaient 10 milliards d’euros de bénéfice net.
Le silence du gouvernement révèle une certaine hypocrisie. Des mesures ont en effet permis de favoriser l’activité de crédit, qui enrichit certains mais « frappe de plein fouet les ménages en situation précaire qui contractent des crédits non pas pour des achats superficiels mais pour des biens de consommations vitaux » , constate François Édouard, secrétaire général de la Confédération syndicale des familles. Témoin de cet encouragement au crédit, la demande, le 23 octobre, de Christine Lagarde à la filiale bancaire de La Poste de lui « faire des propositions pour autoriser La Poste à faire du crédit à la consommation pour engager plus de concurrence » .
Les efforts des pouvoirs publics pour venir en aide à ces ménages « qu’on culpabilise restent très insuffisants » , poursuit François Édouard. Le rapport Canivet (2005) dénonce les faibles moyens accordés à la « procédure de rétablissement personnel » mise en place par la loi Borloo de 2003. Seules 20 000 procédures sont autorisées chaque année, et cela pour un coût de 10 millions d’euros, une bagatelle, comparée aux profits tirés du marché du crédit.
Pourtant, la consommation des ménages est le principal moteur de la sacro-sainte croissance. Comment, dès lors, le gouvernement peut-il la soutenir sans gêner pour autant les entreprises ? Non par la hausse des salaires, mais par l’endettement des particuliers. À l’américaine. Que fait, par exemple, le gouvernement pour mettre un terme au scandale des « crédits revolving » que pointe le rapport du CES ? « Les cartes de fidélité de la grande distribution sont en fait des cartes de crédit. Beaucoup de personnes ne s’aperçoivent même pas qu’elles sont contraintes de contracter un emprunt. Cinq minutes au téléphone suffisent pour se voir octroyer n’importe quel prêt » , témoigne François Édouard. « Cette pratique est malhonnête quand on pense qu’elle permet des crédits quasiment au taux de l’usure, qui s’établit actuellement à 19,85 % » , ajoute-t-il. Une pratique qui a d’ailleurs été renforcée en janvier 2007 avec la levée de l’interdiction faite jadis aux banques d’émettre des cartes de crédits « comarquées », notamment avec des enseignes commerciales.
95 % des cartes bancaires françaises en circulation sont encore des cartes de débit seul. Les comarquées, elles, sont des cartes de débit et de crédit à taux élevé, ce qui les rend très rentables pour les émetteurs et leurs partenaires. Pour pousser la clientèle a en avoir plusieurs, les cotisations sont moitié moins élevées que pour les cartes classiques…