Le repos du chéquier

La neuvième « Journée sans achat » se tient samedi 24 novembre. Une critique de la consommation à outrance qui tente d’aller au-delà de la simple protestation.

Patrick Piro  • 22 novembre 2007 abonné·es

ça va être sa fête, au veau d’or de la consommation ! Samedi 24 novembre, c’est la Journée sans achat. À Amiens, Lyon, Nantes, Poitiers, Rennes, Toulouse, etc., devant les centres commerciaux, des centaines de militants distribueront des bons de « non-achat » et déverseront des tombereaux de tracts publicitaires récupérés dans les boîtes aux lettres. Ils recouvriront de slogans parodiques des panneaux publicitaires vantant le bonheur d’acheter, défileront masqués, célébreront des grand-messes en soutien à la croissance ou à la gloire de la très sainte consommation, débattront, banquetteront sans courir les supermarchés, etc.

Illustration - Le repos du chéquier


GUILLOT/AFP

Lancée en 1999 par le groupe Casseurs de pub, la Journée sans achat est la version française du Buy nothing Day , tenu en Amérique du Nord depuis 1992 le dernier vendredi du mois de novembre, réputé journée record pour le chiffre d’affaires de la distribution [^2] Les Européens ont choisi le samedi suivant.

Malgré un profil ludique et un solide argumentaire écologique, la Journée sans achat menaçait pourtant de s’essouffler, estiment ses initiateurs [^3] : cette manifestation symbolique (sans effet mesurable sur le volume des ventes), parce qu’elle est de pure protestation et ponctuelle, courait le risque de cantonner ses militants dans l’image d’austères « pisse-froid », relève le politologue Paul Ariès, l’une des têtes pensantes de la mouvance décroissante
[^4].

« Mais, alors que le président de la République nous exhorte à « travailler plus pour gagner plus », ce serait une erreur d’abandonner cette invitation symbolique à s’arrêter pour réfléchir » , défend Vincent Cheynet, directeur de la publication du mensuel la Décroissance .

À défaut d’être massivement convaincus, c’est sous la contrainte que les Français pourraient lever le pied. Le maintien du pouvoir d’achat et la lutte contre la hausse des prix sont devenus leur préoccupation principale, à égalité avec le chômage, selon un sondage de TNS-Sofres. Brice Teinturier, son directeur du département « stratégies d’opinions », insiste sur l’importance et la nouveauté du phénomène [^5] : la consommation ne faiblit pas, attisée « par des « promos » permanentes auxquelles les Français sont accros » et la baisse des prix de l’électronique de loisir, son fer de lance. Alors que les salaires stagnent et que certains coûts augmentent résolument, comme ceux de l’énergie, voire explosent, dans l’immobilier. Le logement ponctionne désormais 25 % des revenus, contre 15 % il y a vingt ans.

Pour Pascal Canfin, responsable de la commission économique des Verts [^6], « si la Journée sans achat est une initiative salutaire face à la fièvre consumériste, il ne faut pas l’opposer aux inquiétudes légitimes des Français. Comment améliorer le pouvoir d’achat ? Si on gonfle les revenus, on court encore plus vite à la catastrophe. En revanche, en diminuant les dépenses contraintes ­ loyer, transports, énergie, etc. ­, on est cohérent avec les priorités écologiques ». Par exemple : au lieu de faciliter l’achat de voitures, financer des forfaits de transports en commun, ce qui, de plus, reviendra moins cher à la collectivité.

« On ne peut pas se contenter de critiquer les aspirations à consommer , admet aussi Paul Ariès. Il faut comprendre que le capitalisme désécurise les personnes, économiquement, socialement et psychiquement ; et rechercher des terrains de reconquête de la sécurité. » Aussi, la Journée sans achat tente désormais de rejoindre la résistance syndicale contre le travail le dimanche et les nocturnes commerciales, alliant arguments écologistes et sociaux contre une religion consumériste qui grignote peu à peu l’intégralité du temps et de l’espace.

« C’est une lutte politique, mais pas à coup de manifestes , analyse Paul Ariès, elle s’ancre dans des débats très pragmatiques. Par exemple, quand la Fédération des oeuvres laïques nous interroge pour savoir s’il faut généraliser les loisirs motorisés… »

[^2]: Voir les sites (avec une liste de manifestations) et <www.adbusters.org>, du mouvement anticonsumériste Adbusters, qui soutient le Buy nothing Day .

[^3]: Ils ont repoussé à l’été prochain la sortie du magazine satirique annuel Casseurs de pub, qui précédait cette journée.

[^4]: Notamment auteur du manifeste No conso, éd. Golias, 2006, 261 p., 18 euros.

[^5]: Le Nouvel Observateur, 15 novembre.

[^6]: Et auteur de l’Économie verte expliquée à ceux qui n’y croient pas, éd. Les Petits Matins, 2007, 14 euros.

Écologie
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