« Les Américains veulent une guerre contre l’Iran »

Nawaf al Mousawi, en charge
des relations internationales du Hezbollah, évoque ici la crise inter-libanaise, Israël, l’Iran, la Palestine et l’évolution du Hezbollah lui-même
par rapport à son image en Occident.

Denis Sieffert  • 22 novembre 2007 abonné·es

Comment analysez-vous la crise actuelle ?

Nawaf al Mousawi : Selon la Constitution, il faut une majorité des deux tiers du Parlement. Personne ne dispose de cette majorité. Il nous faut donc un candidat de consensus. Mais la partie est très difficile. Notamment parce que les États-Unis, dont l’influence est toujours importante, n’y ont pas intérêt. Ils n’ont qu’une idée en tête : éliminer le Hezbollah. Comme vous le savez, ils ont essayé, au cours de l’été 2006, au travers de l’agression israélienne. Mais Israël n’était pas capable de réaliser cet objectif. Aujourd’hui, les États-Unis poursuivent toujours le même but et tentent de créer de nouvelles occasions. Une guerre israélo-syrienne ou une guerre civile au Liban. Ou une guerre civile qui entraînerait une intervention syrienne. Aujourd’hui, au Liban, le rapport de force est en faveur de l’opposition. Seule une situation de guerre pourrait changer ce rapport de force.

Vous parlez d’une guerre israélo-syrienne, mais vu d’Europe, nous avons plutôt l’impression que c’est une guerre américano-iranienne qui se prépare…

Celle-ci me semble plus inéluctable encore. Pour des raisons qui tiennent à la maîtrise des champs pétroliers. Les États-Unis veulent aussi affaiblir l’Iran et lui infliger des blessures profondes.

Pour en revenir plus spécifiquement à la crise libanaise, on a l’impression que le Hezbollah se fait très discret, qu’il se réserve le droit de récuser des candidats mais qu’il n’a pas de candidat…

Nous avons un candidat que nous soutenons. C’est le général Aoun. Il n’est pas issu du « 14 Mars », mais il n’est pas issu non plus du « 8 Mars ». Et il est majoritaire dans la communauté chrétienne maronite.

Que pensez-vous de la position française ?

Il y a un paradoxe libanais. Malgré l’alignement de la France sur les États-Unis, sa position reste traditionnelle au Liban.

Au cours de la guerre de l’été 2006, on avait l’impression que tout le Liban était derrière le Hezbollah. Un an plus tard, le Hezbollah semble presque isolé…

Ce sont des images superficielles. En 2006, déjà, une partie de la majorité a tenté de tirer profit de l’agression israélienne. Aujourd’hui, les mêmes font pression pour obtenir ce qu’Israël veut obtenir, c’est-à-dire le désarmement du Hezbollah. Mais nous ne sommes pas isolés. Les relations sont au mieux avec Amal. Et les alliés chrétiens du Hezbollah, au travers de Michel Aoun et de Sleiman Frangié, étaient avec nous pendant la guerre. Ils sont toujours avec nous aujourd’hui. Rien n’a changé. Quand on entend les médias qui sont aux mains de la majorité, ils tiennent le même discours que les médias israéliens. À cette différence près que les médias israéliens défendent les intérêts d’Israël…

Puisque vous parlez d’Israël, comment voyez-vous la prochaine réunion d’Annapolis ?

Il n’y a aucune chance de parvenir à un accord. Gaza est isolée et les principales villes de Cisjordanie sont encerclées par des colonies. Le droit au retour des réfugiés est refusé, tout comme le retrait des territoires occupés. Dans ces conditions, on peut craindre que cette réunion n’ait qu’un seul objectif : obtenir la normalisation des relations entre les pays du Golfe et Israël avant une attaque contre l’Iran.

Le Hezbollah est souvent présenté comme une simple dépendance de l’Iran en terre libanaise. Que répondez-vous à cela ?

Que nos relations avec l’Iran sont beaucoup moins étroites que celles qu’entretenaient les États-Unis avec les Contras au Nicaragua dans les années 1980…
**
En 2006, vous êtes apparus comme les agresseurs parce que l’offensive israélienne a été lancée après l’enlèvement par le Hezbollah de deux soldats israéliens…**

La guerre n’a pas été le résultat d’un incident mais d’une décision réfléchie de la part d’Israël. Des incidents, il y en a sans cesse. En 2000, nous avions enlevé des soldats et cela n’a pas provoqué la guerre. Vous devez surtout savoir que les violations de l’espace libanais par Israël sont très nombreuses. Du 25 mai 2000 au 11 juillet 2006, nous avons recensé 11~000 cas de violation de l’espace libanais, par mer, par air et au sol. L’enlèvement des soldats s’inscrit dans ce contexte-là. Et ces jours-ci encore, la Finul vient de protester contre les survols du Sud-Liban par l’aviation israélienne.

Où en êtes-vous idéologiquement par rapport à Israël ? Reconnaissez-vous l’existence de cet État ?

Dites-moi d’abord quel Israël il faut reconnaître. Avec ou sans le Golan ? Avec ou sans les territoires palestiniens occupés ? Avec ou sans Jérusalem-Est ? Avec ou sans l’égalité de droit pour les citoyens arabes ? Que ce pays nous dise d’abord qui il est et où sont ses frontières… Arafat a donné des chèques en blanc à Israël. Cela ne l’a pas empêché d’être de nouveau qualifié de « terroriste ». Nous, nous ne donnons pas de chèque en blanc.

S’il advenait qu’un jour vous soyez majoritaires au Liban, installeriez-vous un État islamique comparable à l’Iran ?

Cette idée d’un État islamique au Liban est l’idée de nos adversaires pour nous discréditer. Nous devons travailler à un système d’entente entre toutes les religions, et de pluralisme culturel. Il nous faut éviter la pensée unique.

S’il faut éviter la pensée unique, faut-il imposer le port du hijab aux femmes ?

Ici, quand vous êtes dans ce quartier, où nous sommes très influents, qu’avez-vous vu ? Autant de femmes avec le hijab que sans, n’est-ce pas ? Les femmes sont libres. Si elles portent le hijab c’est de plein gré.

Les Occidentaux sont sceptiques parce qu’il y a le précédent de l’Iran. Au cours des premiers mois qui ont suivi le retour de l’ayatollah Khomeiny et alors que Mehdi Bazargan était Premier ministre, il y a eu une brève période de liberté. Tout s’est ensuite gâté.

Le contexte était d’une grande violence. Il y a eu 73 attentats contre des leaders de la République islamique. Il faut que vous cessiez de nous voir en sauvages et en primitifs. Les cerveaux de la colonisation sont toujours à l’oeuvre. Il faut que vous cessiez aussi de nous vouloir à votre image. Les Occidentaux doivent parler avec nous tels que nous sommes. Au lieu de cela, ils veulent toujours parler à leur miroir. Si vous n’êtes pas dans la norme, vous êtes le diable.

Monde
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