Les enjeux d’une crise

Derrière les difficultés du Liban à se donner un nouveau président de la République, il y a la guerre d’influence entre la Syrie et l’Iran d’une part, et les États-Unis de l’autre.

Denis Sieffert  • 22 novembre 2007 abonné·es

L’heure de vérité est toute proche au Liban. Après plusieurs reports, le Parlement doit absolument élire avant samedi un nouveau président de la République. En cas d’échec, le risque est grand d’un retour à la violence. La majorité des deux tiers étant requise, aucun des deux camps qui structurent le paysage politique n’est en mesure d’imposer son candidat. D’où la recherche très difficile d’un candidat de consensus. Et le risque que fait poindre l’actuelle majorité parlementaire (dite « pro-occidentale ») d’imposer un candidat à la majorité simple si le consensus n’est pas obtenu. Un passage en force et une situation de crise qui ne déplairaient pas aux États-Unis.

Illustration - Les enjeux d’une crise

Un militant du Courant patriotique libre, mouvement chrétien maronite, brandit un portrait du général Aoun. NAAMANI/AFP

Apparemment, tout est « libanais » dans cette affaire. Mais rien n’est plus trompeur. Le Liban est le théâtre d’une lutte d’influence entre la Syrie et l’Iran d’un côté, et les États-Unis et Israël de l’autre. Derrière la présidentielle libanaise, se profile pour une partie de la communauté chrétienne maronite, mais aussi pour les États-Unis et Israël, l’objectif d’affaiblir, voire d’éliminer, le Hezbollah. Le mouvement chiite n’est pas seulement une puissante organisation communautaire, il incarne aussi la résistance à Israël, et l’influence de l’Iran et de la Syrie dans la région. On nous assène comme une évidence qu’il y aurait « deux Liban ». L’un, démocrate et pro-occidental, que l’on nomme « bloc du 14 Mars » en référence à la manifestation anti-syrienne du 14 mars 2005 ; l’autre, « pro-syrien », islamiste, terroriste, et pour tout dire sous la coupe d’un Hezbollah surarmé, simple antenne militaire de l’Iran en terre libanaise. Ce second bloc est aussi appelé « 8 Mars », en référence à une manifestation à Beyrouth, le 8 mars 2005.

Dit comme cela, inutile de préciser où sont attirées nos sympathies. Pour faire bonne mesure, la manifestation du 14 mars a aussi été appelée « révolution du cèdre », et comparée à la « révolution orange » d’Ukraine. Ses principaux acteurs sont régulièrement présentés comme des grands démocrates, tandis que chaque attentat est l’occasion de pointer la responsabilité de la Syrie ou de ses alliés libanais. D’un côté, la douceur et la démocratie ; de l’autre, la violence et le terrorisme…

La réalité est un peu plus complexe. Les principales figures du « 14 Mars » ne sont pas tout à fait les démocrates sincères que l’on décrit. Saad Hariri, fils de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, assassiné en février 2005, est un homme d’affaires multimilliardaire, étroitement lié à la famille royale saoudienne et aux États-Unis. L’ancien président Amine Gemayel est le leader des Phalanges chrétiennes, fondées par son père sur le modèle mussolinien. Le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, qui a purgé dix ans de prison de 1994 à 2005, a été impliqué directement dans l’élimination de familles rivales dans le camp chrétien, les Frangié, les Chamoun, et de l’ancien Premier ministre (sunnite) Rachid Karamé.Le troisième homme fort est le leader druze Walid Joumblatt, champion absolu des renversements d’alliances ; il a été l’allié de tout le monde et l’ennemi de tout le monde.

Il y a aussi, évidemment, de ce côté-ci, des démocrates sincères, ou tout simplement d’honnêtes libéraux occidentalistes fascinés par l’Amérique et par Israël.

De l’autre côté, il n’est surtout pas question de dire ici que le régime syrien est incapable de commettre les crimes dont il est systématiquement accusé. Mais, dans un pays réduit à des influences binaires, ceux que l’on définit comme « pro-syriens » sont surtout engagés dans la résistance à Israël. Ils sont plus composites que nous le disent les présentations habituellement sommaires de la presse occidentale.

Avec le Hezbollah, principale force de cette coalition, on trouve le mouvement chrétien maronite le plus représentatif, le Courant patriotique libre du général Aoun, les communistes libanais et diverses forces de gauche. Car, il y a là aussi une dimension sociale. Depuis son entrée en politique, en 1992, le Hezbollah n’est plus seulement le « parti de dieu » islamiste pro-iranien qu’il était à son origine en 1985. Deux autres aspects de ce mouvement très puissant dans la population chiite lui ont permis d’être influent bien au-delà de sa base communautaire et de son origine religieuse : c’est à la fois un mouvement social et un parti qui incarne la résistance à Israël, c’est-à-dire aussi la solidarité avec les Palestiniens. L’attraction qu’il exerce sur une partie des Libanais n’est donc pas exclusivement religieuse, loin s’en faut. Sa montée en puissance militaire et politique participe d’une modification des rapports de force régionaux.

Monde
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