Les toits de Paris
dans l’hebdo N° 977 Acheter ce numéro
En France, en 2003, la canicule a entraîné la mort de 15 000 personnes supplémentaires. 15 000 personnes dont une partie ont décliné seules, sans soins, sans assistance… Pour ceux qui auraient oublié ce drame, Hiner Saleem se charge de donner un visage à des victimes isolées. Isolées comme sous les toits de Paris, dans ces immeubles haussmanniens où les rares chambres de bonnes non transformées en duplex abritent des papis qui peinent à gravir les escaliers jusqu’à leur tanière, ou des jeunes paumés. Des gens de peu qui tardent à payer le loyer et se font virer au bout du compte. Étuve l’été. Frigo l’hiver. Hygiène moyenne toute l’année. Le dernier film de ce cinéaste d’origine kurde, aujourd’hui parisien, relate la lente agonie d’un vieil homme (Michel Piccoli) qui, de plus en plus mal en point, finit par se rendre aux toilettes en rampant. Hormis quelques moments de joie la piscine avec son voisin de palier (Maurice Benichou), les visites de la serveuse du rade en bas (Mylène Demongeot) ou de la jeune fille d’à côté (Marie Kremer) ce film vu du couloir a toutes les apparences d’une punition. D’autant qu’Hiner Saleem a pris le parti d’éviter tout dialogue. Le spectateur a donc tout le loisir de phosphorer sur la non-prise en charge des exclus dans nos sociétés de consommation. Overdose. Accident. L’évidence se passe de commentaires. Les Toits de Paris aurait pu en rester à l’illustration sociologique d’une réalité cruelle. Mais cette absence de parole est cinématographiquement fertile. Car le film n’est pas muet : il est grognements, rires, gloussements, mines, soupirs, bruits de pas, de la chute d’un corps trop lourd sur un lit, d’un toc à la porte, du ploc de la pluie sur le parquet… Mimes et reconstruction d’un remue-ménage étouffé, étranglé. Vitreux comme parfois le gris des tôles dans cette capitale d’indifférence.