Mauvaise liaison

Elle s’appelle Kriemhild Schacht. Son prénom lui vient du Niebelungenlied . Elle fut une petite Allemande heureuse sous le IIIe Reich, son père étant un industriel nazi.

Il s’appelle Jacques Lécrivain. De fait, il a écrit quatre romans, qui n’ont pas rencontré de succès. Mais sa principale activité est d’être professeur à la faculté de pharmacie, spécialiste de mycologie.</>

Quel rapport entre ces deux personnages, dont les voix croisées courent au long de la Walkyrie et le professeur~? Une liaison, comme on dit. Le lecteur découvre peu à peu que la maîtresse qu’eut le professeur dans les années 1970, et dont il parle exclusivement, fut Kriemhild, qui, elle, narre sa vie par le menu, en s’attardant surtout sur son enfance.

L’effet est imparable : le projecteur est avant tout braqué sur la femme, et c’est à la lumière de ce qu’elle conte de ses années de jeunesse qu’on tente de comprendre ses «~bizarreries~», qui se manifestent chez elle trente ans plus tard, et dont le narrateur Jacques Lécrivain fait part, sans retenue.

Au coeur du mystère de Kriemhild, une condamnation~: celle émise par ses parents à la lecture des contes qu’elle écrivait enfant. « Non conformes aux directives du Führer en matière littéraire », jugèrent-ils. La petite fille ne s’est pas révoltée contre sa famille, qui, par ailleurs, était aimante. Elle a intégré sa frustration dans une activité, l’écriture, qui relevait chez elle d’une véritable nécessité, se contentant ensuite de recopier des textes. Une frustration qui ne pouvait pas ne pas laisser de traces.

L’intérêt de la Walkyrie et le professeur est d’avancer malgré tout par fausses évidences. La piste des liens de cause à effet n’est pas aussi rectiligne. Kriemhild n’est pas forcément comme ceci parce qu’elle aurait vécu cela. D’autant que la personnalité de Lécrivain n’est évidemment pas neutre dans cette affaire, et son rôle s’avère déterminant dans la mauvaise tournure que prend leur liaison. Michel Arrivé signe ici un roman en trompe-l’oeil.