Prendre l’empreinte du monde

La Société de géographie expose près de 200 clichés à la Bibliothèque nationale de France. Entre inventaire et colonialisme, les témoignages de photographes-explorateurs qui racontent le monde depuis le XIXe siècle.

Jean-Claude Renard  • 1 novembre 2007 abonné·es

On n’est pas encore entré dans l’époque des plus légers que l’air. Importe peu. Ça bourlingue de partout derrière le diable Vauvert, sans concessions sur le kilomètre. Au mitan du XIXe siècle, les explorations connaissent un regain de forme, on va, vient, vogue, accoste. Les malles déboulent en nombre sur les débarcadères. Hurluberlus, histrions, voyageurs solitaires, notables fortunés, particules désoeuvrées, curieux et scientifiques poulopent sur les chemins et les océans. Les missions religieuses, civiles ou militaires s’enquillent des heures de voyage, s’invitent sur les continents. L’essor de la photographie se calque sur les expéditions, renouvelle l’imaginaire occidental de l’ailleurs. Celle-ci se fait auxiliaire et complice moderne de la nouvelle description d’un monde qui se construit dare-dare. Pour la Société de géographie, fondée en 1821 à Paris, la photographie constitue forcément le matériau idéal pour meubler ses connaissances. Elle est fidèle, elle est précise. Et s’impose en outil indispensable pour tous les relevés. Son développement trouve naturellement un écho dans les champs de la Société, s’étirant comme une pieuvre, entre géographie, géologie, anthropologie, archéologie et topographie. En quelque deux cents clichés
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, c’est précisément ce dont rend compte cette remarquable exposition à la Bibliothèque nationale de France, en trois volets : l’exploration du monde, le témoignage des soubresauts qui le secouent et le travail d’inventaire.

Maxime du Camp vire en Égypte, Henri de Bouillane de Lacoste en Mongolie, William Libbey pousse jusqu’au Groenland, Fernand Foureau choisit le Sahara, Eugène Brussaux préfère le Congo. Henry de Witt Moulton en pince pour les gisements de guano au Pérou, Felice Beato saisit le Japon entre tradition et modernité, Désiré Charnay lyrise sur la baie de Passandava, à Madagascar, Ernest Robin portraitise les indigènes de Nouvelle-Calédonie et Édouard Bidault de Glatigné cadre sur les caravanes somaliennes. Au fil des ans, le monde bouge, et furieusement. Tandis que Timothy O’Sullivan traque le caractère sublime et sacré de la nature dans le Grand Canyon, Hippolyte Arnoux rend compte des vastes chantiers du canal de Suez, Konoptchinsky prend la mesure du transsibérien et Henri Porcheron fixe les mines de diamant de Kimberley.

Mais derrière un pittoresque phagocyté par l’ethnographie, il y a la volonté ahurissante, démesurée de classer, répertorier, cataloguer, enregistrer, notifier les informations dans tous les domaines. Et partout. Des ruines du Yucatan aux temples d’Angkor, des mines d’or de Boutine aux forêts de Saïgon. Une volonté qui renvoie à l’appropriation et correspond au rêve colonial. Le monde est pris au collet. La connaissance se pique d’un sens inavoué de la propriété. S’agit de posséder, à coups d’épreuves sur papier albuminé d’abord. L’histoire fera le reste.

[^2]: La collection de photographies de la Société de géographie est abritée par la BNF depuis 1942, le fonds étant constitué de dons de ses membres et correspondants français et étrangers.

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