Sus aux faux écolos !
Quatre ONG ont organisé un vote citoyen pour couronner, le 4 décembre, les plus scandaleuses pratiques de lobbying et « d’écoblanchiment » observées dans l’Union en 2007.
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Acheter des études scientifiques biaisées, financer secrètement des think tanks anarcho-capitalistes, se faire passer pour d’authentiques écologistes ou encore s’assurer un accès très privilégié auprès d’organes décisionnels de l’Union européenne… Voici quelques-unes des pratiques de lobbying inavouables qui ont cours aujourd’hui dans la capitale de l’Europe. Afin de braquer les projecteurs sur ces méthodes peu orthodoxes, le « Prix du pire lobbying de l’Union européenne (UE) » a été lancé en 2005 à l’initiative de quatre ONG [^2]
scandalisées par le court-circuitage de la démocratie qui résulte de ces pratiques. Leur credo ? Montrer du doigt publiquement les mauvais élèves de la classe pour décourager ceux qui seraient tentés de leur emboîter le pas. « Ce prix montre aussi la nécessité d’une réglementation forte en matière de transparence et d’éthique du lobbying au sein de l’UE. Les citoyens européens ont le droit de savoir qui tente de faire pression sur les institutions européennes, au nom de qui, avec quel budget et à destination de quelles politiques » , expliquent les associations, qui montrent elles-mêmes l’exemple sur leurs sites Internet respectifs en dévoilant leurs sources de financement et les montants perçus.
Shell se fait épingler pour une pub mensongère.
CERLES/AFP
Le Prix du pire lobbying, cuvée 2007, sera décerné le 4 décembre prochain lors d’une cérémonie festive qui se tiendra à Bruxelles. Parmi les cinq nominés, le vicomte Étienne Davignon a des allures de favori. Ancien vice-président de la Commission européenne, il est aujourd’hui conseiller spécial du commissaire au Développement, Louis Michel, sur les questions de développement en Afrique. « Le problème, explique Christine Pohl, des Amis de la Terre, c’est que M. Davignon siège en même temps au conseil d’administration de Suez, multinationale qui cherche à s’ouvrir de nouveaux marchés dans les secteurs de l’eau et de l’énergie… en Afrique. » Un conflit d’intérêt présumé qui semble en tout cas ne déranger personne à Bruxelles…
Autre nominé de taille : le triumvirat germanique BMW-Daimler-Porsche, pour son lobbying intensif chantage à l’emploi inclus visant à miner et à retarder les objectifs européens de réduction des émissions de CO2 pour les nouvelles voitures.
Les «~outsiders~» qui leur disputeront la palme sont le groupe pétrolier espagnol Repsol, stratège de la recherche européenne en matière d’agrocarburants industriels, le cabinet Stewart, une agence de lobbying qui gère un faux think tank servant de façade aux adversaires du protocole de Kyoto, et l’Epaca, le lobby des lobbyistes européens, qui mène activement campagne contre la transparence financière du lobbying à Bruxelles souhaitée par le commissaire aux Affaires administratives et à la Lutte antifraude, Siim Kallas.
Cette année, un second trophée sera également décerné~: le prix du pire «~écoblanchiment ». L’objectif, ici, est de distinguer la plus culottée des opérations de com’ cherchant à faire passer des vessies polluantes pour des lanternes écologiques. Airbus est ainsi nominée pour une série de pubs où les silhouettes des avions sont parées de paysages idylliques suggérant que l’A380 est propre et écolo. Le géant anglo-néerlandais Shell se fait épingler pour une publicité suggérant que ses raffineries rejettent… des fleurs plutôt que de la fumée (pub que le gendarme de la publicité britannique vient d’ailleurs de condamner). Le numéro un mondial du pétrole, ExxonMobil (Esso), doit quant à lui sa nomination à une campagne publicitaire dans laquelle il prétend réduire ses émissions de gaz à effet de serre alors que… son propre rapport 2006 d’«~entreprise citoyenne~» reconnaît qu’elles ont crû de façon spectaculaire ces quatre dernières années~!
En lice également pour la palme du «~verdissement~»~: le lobby de l’industrie nucléaire allemand, qui se présente comme le « protecteur du climat » à coup de pleines pages achetées dans la presse, et le géant britannique de l’armement BAE Systems, qui cherche à se positionner sur le marché des armes «~vertes~» et a récemment fait la promo de ses «~balles écologiques sans plomb~»… Vu l’inexistence d’une presse d’investigation spécialisée dans les questions européennes, les dossiers montés par les organisateurs (disponibles sur le site www.worstlobby.eu) valent certainement le détour. Les motifs précis des nominations sont explicités, les logiques industrielles qui se trament en arrière-plan, décodées. « Nous ne craignons pas la controverse , déclare Uri Mueller, de l’ONG Lobby Control. Nos dossiers reposent sur des bases factuelles solides. On ne peut donc pas nous attaquer en diffamation. Je pense d’ailleurs que ça se retournerait vite contre le nominé… »
Tout citoyen européen a pu voter via le site Internet de l’événement. L’an passé, près de 10 000 internautes ont joué le jeu. « Les dix nominés ont d’ores et déjà été conviés à la cérémonie du 4 décembre, précise Uri Mueller *. Nous les avons également invités à réagir à leur nomination. Shell, le Cabinet Stewart et l’Epaca nous ont écrit pour contester celle-ci. Leurs lettres et nos réponses sont publiées sur le site Internet. »* Les deux lauréats auront par ailleurs l’occasion de présenter leur point de vue sur scène lors de la cérémonie. Alors, viendront~? Viendront pas~? L’an passé, seul un représentant d’une DG nominée (l’équivalent européen d’un ministère) avait fait le déplacement…
[^2]: SpinWatch (Royaume-Uni), LobbyControl (Allemagne), Corporate Europe Observatory (Pays-Bas) et le bureau européen des Amis de la Terre (Bruxelles).