Un détail de l’histoire
Dans un documentaire, José Bourgarel revient sur l’implication de Jean-Marie Le Pen dans les actes de torture commis pendant la guerre d’Algérie. Des victimes témoignent tandis que le bourreau nie.
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Une première voix~: «~Il s’est assis sur mon torse, tenait la serpillière et disait à celui qui versait de l’eau de continuer, de ne pas s’arrêter quand il voyait que je m’étouffais.~» Une deuxième voix~: «~Ils ont enlevé le matelas. Ils m’ont ligoté sur le sommier, moi et mon père. Là, ils ont commencé l’électricité. Et c’est Le Pen qui actionnait l’interrupteur. Les fils étaient branchés directement sur le sommier. Dès que je parlais, il s’arrêtait, prenait des notes, et recommençait.~» Une troisième voix encore~: «~Il m’a demandé ce que je connaissais du FLN. Rien. J’ai répondu que j’étais juste un travailleur. Il m’a dit~: « Moi aussi je travaille. Mets-toi à poil~! » J’étais tout nu. Ils m’ont ligoté les mains, les pieds. On m’a mis par terre. Ils m’ont mis un fil électrique dans le sexe, un deuxième entre les doigts de pied. Et après, Jean-Marie Le Pen a jeté un bidon d’eau sur mon corps. […] Il me tenait par les cheveux et me cognait la tête contre le carrelage. Je me suis plusieurs fois évanoui. C’est surtout les fils électriques dans le sexe qui étaient horribles.~»
« Ils ont commencé l’électricité. Et c’est Le Pen qui actionnait l’interrupteur. »
SAGET/AFP
D’abord les rumeurs. Suivent les témoignages. Avec la Question Le Pen et la torture , José Bourgarel rend compte de cinquante années d’histoire. D’hier à aujourd’hui. Un demi-siècle entre les actes de torture perpétrés par Jean-Marie Le Pen et les témoignages des victimes s’exprimant devant une caméra pour la première fois. Entre les deux parties, victimes et bourreau, le réalisateur nourrit son récit d’interventions d’historiens, de journalistes et d’avocats, tous ceux qui ont peu ou prou étudié la «~question~». Un fil conducteur dans ce film~: la pédagogie dans la chronologie.
Ça commence en 1957. Jean-Marie Le Pen est député poujadiste, colonialiste convaincu. Il est aussi engagé dans le 1er Régiment étranger de parachutistes et se rend à Alger, alors en pleine «~bataille~». Il y reste les trois premiers mois de l’année. L’armée a reçu les pleins pouvoirs, Massu doit casser les réseaux FLN. Arrestations, disparitions. Par milliers. «~L’utilisation de la torture a été massive, rapide et généralisée~» , rappelle Benjamin Stora. Entre janvier et mars 1957, c’est carte blanche pour certaines unités de l’armée. Des voix isolées s’élèvent contre ces méthodes. Jean-Jacques Servan-Schreiber, dans l’Express , puis le général de Bollardière, frappé de soixante jours de forteresse pour avoir dénoncé la torture. En 1962, la guerre est finie. Et se solde par des décrets d’amnistie aussitôt promulgués. Ils interdisent les poursuites contre les auteurs de violence en France comme en Algérie. Les victimes ne pourront jamais attaquer leurs bourreaux en justice. Il n’y aura donc jamais d’enquête sur les meurtres et les tortures de l’armée française. L’histoire pourrait s’arrêter là. Les historiens précisément se chargent de l’histoire. Et le réalisateur de poursuivre son récit.
Dès juin 1962, Pierre Vidal-Naquet publie dans le journal Vérité Liberté un rapport de police où un Algérien accuse Le Pen de torture. Dans les années 1980, alors que le FN s’impose dans les urnes, les journalistes prennent le relais.Louis-Marie Horeau, dans le Canard enchaîné , en 1984, rappelle un passé de tortionnaire ; puis Lionel Duroy, dans Libération, y consacre un dossier, cinq témoignages à l’appui ; le Monde en ajoute un autre. Député européen, Le Pen doit gagner sa respectabilité. Et attaque en diffamation. Il gagne chaque procès. Henri Leclerc, avocat du Canard et du Monde, s’explique~: «~Nous nous sommes trouvés dans cette situation incroyable d’être condamnés pour un homme qui niait avoir commis les faits, mais qui les revendiquait sur le plan moral. D’une certaine façon, ce procès a réduit la liberté d’expression à ce sujet. » De fait, on n’en reparlera plus. Jusqu’à Michel Rocard, sur le plateau de «~Sept sur sept~», devant Anne Sinclair, en 1992. Le Pen attaque encore. Idem contre Vidal-Naquet, qui insiste dans ses mémoires. Mais, pour la première fois, Le Pen perd. Pourtant, maître Rapapport n’a aucun document inédit, juste une malle de papiers connus et publiés. Mais «~les esprits avaient mûri et changé. Les documents ont été lus et examinés différemment~» , observe-t-il aujourd’hui.
L’un des intérêts du documentaire est d’avoir donné la parole à tous les «~acteurs~» du drame, jusqu’à Florence Beaugé rouvrant le dossier au Monde, en 2002. Un autre intérêt repose sur les réactions de Le Pen, interviewé par le réalisateur. Le discours est clair. Sur les tortures à domicile~: « Impensable~! Je n’ai jamais été au courant d’interrogatoires qui aient eu lieu dans les domiciles des gens recherchés.~» Sur sa participation aux interrogatoires~: «~À aucun interrogatoire violent. Jamais~!~» Sur le terme même de torture, sur le supplice de l’eau et de la gégène~: « C’étaient des choses qui ne laissent pas de trace, qui n’ont pas de conséquences physiologiques, ni de traumatismes postérieurs. Sur le moment, ça fait mal, mais après c’est fini~! » Un détail en somme. Avant de conclure~: «~Je n’ai aucun sentiment de culpabilité. Je n’ai fait que mon devoir.~»
Le film de José Bourgarel se concentre sur le président du Front national. Il laisse en suspens d’autres réalités~: ils sont nombreux à avoir torturé, dans toutes les unités. In fine , historiquement, on admet qu’il y a eu des torturés. Mais pas de tortionnaires. Il faut bien aussi que la vérité passe à tabac.