Un remake de Camp David
dans l’hebdo N° 974 Acheter ce numéro
Une chose est sûre, la prochaine conférence de paix sur le Proche-Orient se tiendra à Annapolis, capitale du Maryland, toute proche de Washington. On ne sait pas quand, mais on sait où. La précision géographique n’est pas superflue pour rappeler, à qui en douterait, que l’initiative est américaine. Elle est le produit d’une diplomatie aux abois, enlisée en Irak, et tout occupée déjà àconditionner l’opinion pour une autre guerre, contre l’Iran. Que cherche George W. Bush dans cette affaire ? Un an avant la fin de son dernier mandat, le président le plus réactionnaire de l’histoire des États-Unis aimerait obtenir une paix de compensation. Il a beaucoup fait la guerre il n’a d’ailleurs pas dit son dernier mot et il voudrait que son nom soit miraculeusement associé à l’issue positive du conflit le plus ancien et le plus symbolique de la planète. Il le voudrait, mais est-il prêt à en payer le prix ? Est-il pour cela disposé à se brouiller avec ses amis, les dirigeants israéliens ? Non, évidemment. Tout au plus, il rêve, pour l’histoire, de sauver les apparences. George W. Bush aimerait qu’un État palestinien soit proclamé, même si l’on n’en connaît ni les contours ni les attributs. Cette mise en scène à laquelle la secrétaire d’État, Condoleezza Rice, consacre tous ses efforts ressemble évidemment à un piège, un de plus, pour les Palestiniens. Mais le problème, c’est que les dirigeants israéliens n’en veulent pas non plus. Pour les uns, ce n’est pas assez ; pour les autres, c’est déjà trop.
Les dirigeants israéliens n’excluent pas cependant de devoir un jour concéder, au moins symboliquement, un « État » palestinien. Cette perspective hante toute leur politique depuis 1967, et plus encore depuis le début du processus d’Oslo en 1993. C’est pourquoi chaque contretemps est mis à profit pour renforcer la colonisation à Jérusalem et en Cisjordanie, jusqu’à hacher menu cet étroit territoire. Depuis une quinzaine d’années, ils mènent une course contre la montre pour créer une situation de fait irréversible. C’est spectaculairement le cas, ces jours-ci encore. Pendant que la secrétaire d’État américaine s’emploie à mettre en scène une réunion internationale qui, nous dit-on, devrait accoucher d’une sorte d’État palestinien, Israël ordonne une nouvelle confiscation de terres en Cisjordanie. Il s’agit d’annexer une région située à l’est de Jérusalem afin de créer une continuité territoriale israélienne entre l’importante colonie de Maale Adoumim et le Jourdain. Ces nouvelles expropriations, hautement stratégiques, auront pour effet de couper la Cisjordanie en deux. Et, comme si cela ne suffisait pas à mettre en évidence l’imposture de la réunion d’Annapolis, Israël se lance en même temps dans une nouvelle entreprise de punition collective contre les habitants de Gaza, privés partiellement d’électricité et de carburant. Le schéma qui se dessine n’est pas sans rappeler le traquenard tendu à Yasser Arafat à Camp David, en juillet 2000. On imagine que le président de l’Autorité palestinienne, une fois pris dans le huis clos de la réunion, sera sommé d’entériner le fait accompli. Il n’aura pour toute alternative que de ratifier une carte sur laquelle les agglomérations palestiniennes seront cernées par les colonies, ou de passer pour celui qui dit « non à la paix ».
L’analogie avec Camp David est frappante jusque dans le discours indispensable sur Jérusalem. Comme naguère le travailliste Ehud Barak, le Premier ministre de centre-droit, Ehud Olmert, évoque un « partage » de la ville. Il y a sept ans, ce qu’une habile communication présentait comme un partage n’était en fait que l’abandon aux Palestiniens d’Abou Dis, petite ville arabe située à l’est de Jérusalem. On rejoue la même scène aujourd’hui en confondant Jérusalem avec un camp de réfugiés (Shufat) et deux villages comme Sawakra et Walaje, excentrés par rapport à la ville. Il suffit ensuite de faire confiance aux propagandistes en France, les nôtres sont excellents et dévoués pour répéter ad nauseam que les Palestiniens ont rejeté une « offre généreuse ». Au total, les Israéliens pourront continuer à coloniser. Et George Bush pourra faire valoir qu’il a « tout essayé ». Les deux s’accorderont pour déplorer de n’avoir pas de « partenaire pour la paix » côté palestinien. Mahmoud Abbas peut-il refuser d’être le jouet de cette sinistre comédie ? Il le pourrait en exigeant, avant de s’embarquer pour Annapolis, un texte qui traite préalablement les questions de fond du conflit. Il se grandirait aussi en faisant observer qu’une telle conférence ne peut avoir lieu sans le Hamas. Il poserait ainsi pour plus tard les jalons d’une vraie conférence de paix et accomplirait le geste nécessaire à l’unité de son peuple. Accessoirement, il proposerait une issue à ceux qui, au sein du Hamas, sont partisans d’une solution politique. Mais peut-il encore être l’homme de cette fermeté ?
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.