Une terre blessée de guerre

Le conflit au Darfour entraîne aussi une catastrophe écologique qui menace l’avenir de millions de personnes.

Claude-Marie Vadrot  • 15 novembre 2007 abonné·es

Les images trop rares de la crise du Darfour et de l’Est tchadien, parcouru périodiquement par des bandes armées indéfinissables et des centaines de milliers de réfugiés tchadiens ou soudanais, ne racontent pas la catastrophe humaine et écologique qui frappe ces régions. J’en garde une image forte : celle d’un paysan zaghawa accompagné par des rebelles et en quête obstinée de son village rasé à l’est de Tiné, la ville frontière tchadienne. Nous avons mis des heures à le retrouver, car l’homme cherchait désespérément les trois grands arbres plus que centenaires visibles de loin et marquant la place centrale, des arbres repères. Systématiquement, les janjawids , cavaliers alliés de l’armée soudanaise, coupent les arbres des villages des Fours et des Zaghawas, les cultivateurs noirs africains en conflit ancien, ranimé en 2003, avec les éleveurs d’origine arabe.

Illustration - Une terre blessée de guerre


Dans un camp de réfugiés, près d’El Fasher, en 2004.
LONGARI/AFP

Quelques arbres, même sur des centaines de villages dévastés, cela peut paraître anodin par rapport aux viols, aux blessés, aux morts et aux destructions. Mais ces arbres visibles de loin annoncent les villages, symbolisent leur pérennité, et les plus anciens figuraient même sur les cartes anglaises. En les coupant, ceux qui font régner la terreur au Darfour savent qu’ils détruisent l’âme des villages.

Ces arbres participent à la fixation de l’eau et de la terre. Dans les premiers villages détruits et aux champs disparus, l’érosion se remarque déjà. Partout, le désert s’étend. Les photos satellites montrent les dégâts sur ces espaces brûlés et dévastés, désormais impropres aux cultures : au bout de deux ans, ils avaient déjà perdu leur végétation protectrice, les ruines des villages commençant à disparaître sous le sable. Un rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue) [^2] insiste longuement sur le désastre en cours : « Au Darfour, où la violence et l’insécurité continuent à prévaloir, des liens complexes mais évidents existent entre les problèmes environnementaux et le conflit en cours. Le changement climatique, la dégradation des sols, la lutte pour des ressources naturelles qui se raréfient sont aussi bien les causes du mal que les conséquences de la violence et de la grave situation humanitaire de la région. »

Partout au Darfour, comme au Sud Soudan dévasté par vingt ans de guerre, les écosystèmes se dégradent : recul des terres cultivables, modification des microclimats, assèchement ou disparition des rivières, baisse des nappes phréatiques, réduction des pâturages et fuite de la faune sauvage. Une catastrophe écologique affectant également agriculteurs et éleveurs, quels que soient les conflits qui les opposent, et pour longtemps. Autre conséquence expliquée par le Pnue : la déforestation galopante, liée à des exportations illégales de bois d’oeuvre, à l’utilisation du bois pour la cuisine (90 % de l’énergie utilisée au Darfour), à la fabrication de charbon de bois destiné à la ville ou à la consommation locale. Notamment dans les 80 camps de réfugiés intérieurs, qui abritent environ 2 millions de personnes. Ces camps de réfugiés sont un fardeau supplémentaire pour l’environnement, et les ONG humanitaires n’y ont pas résolu la question du combustible.

Dans l’est du Tchad, les 200 000 réfugiés du Darfour et plusieurs dizaines de milliers d’autres vivant le long de la frontière, dans des conditions précaires, pèsent aussi sur les écosystèmes à modification rapide. Sur la route d’Abéché à Adré, pas besoin de pancartes pour annoncer l’approche du camp de Fachana : tous les arbres de cette savane arbustive ont été coupés, les buissons rasés. L’arrivée du désert provoque évidemment la colère des habitants, qui voient leur climat changer, les pâturages et les cultures dépérir. Comme ailleurs, le Haut Comité aux réfugiés n’a pas réussi à offrir des moyens de cuisson aux réfugiés et participe à la destruction écologique autour de la quinzaine de camps qu’il gère dans la région.

Au-delà des débats sur le nombre des victimes, dont personne ne fera jamais le compte ; au-delà de la polémique sur l’Arche de Zoé et les 103 enfants auxquels on veut faire dire s’ils sont soudanais ou tchadiens, ce qui n’a aucun sens puisque, pour ces gosses de la frontière, seule compte leur appartenance ethnique ; perdure une catastrophe écologique menaçant l’avenir de millions d’habitants et auquel personne ne s’intéresse.

[^2]: Sudan, Post-Conflict Environmental Assessment, 360 pages efficacement illustrées.

Monde
Temps de lecture : 4 minutes

Pour aller plus loin…

« Pour Trump, les États-Unis sont souverains car puissants et non du fait du droit international »
Vidéo 17 janvier 2025

« Pour Trump, les États-Unis sont souverains car puissants et non du fait du droit international »

Alors que Donald Trump deviendra le 47e président des Etats-Unis le 20 janvier, Bertrand Badie, politiste spécialiste des relations internationales, est l’invité de « La Midinale » pour nous parler des ruptures et des continuités inquiétantes que cela pourrait impliquer pour le monde.
Par Pablo Pillaud-Vivien
Avec Donald Trump, les perspectives enterrées d’un État social
Récit 17 janvier 2025 abonné·es

Avec Donald Trump, les perspectives enterrées d’un État social

Donald Trump a promis de couper dans les dépenses publiques, voire de supprimer certains ministères. Les conséquences se feront surtout ressentir chez les plus précaires.
Par Edward Maille
Trump : vers une démondialisation agressive et dangereuse
Analyse 17 janvier 2025

Trump : vers une démondialisation agressive et dangereuse

Les règles économiques et commerciales de la mondialisation ayant dominé les 50 dernières années ont déjà été fortement mises en cause. Mais l’investiture de Donald Trump va marquer une nouvelle étape. Les échanges économiques s’annoncent chaotiques, agressifs et l’objet ultime de la politique.
Par Louis Mollier-Sabet
À Hroza, en Ukraine, les survivants tentent de se reconstruire
Reportage 15 janvier 2025 abonné·es

À Hroza, en Ukraine, les survivants tentent de se reconstruire

Que reste-t-il quand un missile fauche 59 personnes d’un petit village réunies pour l’enterrement d’un soldat ? À Hroza, dans l’est de l’Ukraine, les survivants et les proches des victimes tentent de gérer le traumatisme du 5 octobre 2023.
Par Pauline Migevant