Bali, service minimum
Au terme de la conférence des Nations unies sur le dérèglement climatique, la communauté internationale se donne deux ans pour négocier un nouvel accord. Vu l’urgence, il devra être très ambitieux.
dans l’hebdo N° 981-982 Acheter ce numéro
L’essentiel fut sauf à Bali, mais au regard des diplomates seulement. Car on a frôlé la catastrophe à la conférence des Nations unies sur le dérèglement climatique. Après dix jours d’épuisantes négociations, les délégués de 187 pays sont parvenus samedi dernier à un accord minimaliste, conclu in extremis : d’ici à fin 2009, un nouveau traité international de réduction des gaz à effet de serre devra être prêt pour la signature, délai raisonnable pour envisager son entrée en vigueur dès 2012, date à laquelle le protocole de Kyoto deviendra caduc.
C’est à peu près tout : aucune ambition concrète n’a été couchée sur le papier. Comme de coutume, les États-Unis ont tenu le mauvais rôle (accompagnés de l’Australie, du Canada et du Japon principalement), bloquant toute référence au moindre effort chiffré. Vague concession : six ans après leur retrait du protocole de Kyoto, ils ont affirmé vouloir* « rallier le consensus » en participant aux futures négociations sous les auspices des Nations unies. Pour la majorité des observateurs, la défaite de l’administration Bush, à l’occasion de la présidentielle 2008, est un préalable indispensable à la mise sur rails d’un nouveau protocole à la hauteur de l’immense défi.
En effet, l’année 2007 aura vu la publication d’un rapport décisif du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), levant les derniers doutes sur la réalité du dérèglement climatique, et sur ses causes les activités humaines. Unanimement reconnu par les politiques comme la base scientifique des négociations [^2]
, il décrit une feuille de route « plancher » pour les décennies à venir.
L’objectif, tout d’abord, est consensuel depuis quelques années : il est impératif de contenir à 2 °C au plus l’augmentation moyenne des températures planétaires, par rapport à leur niveau de l’ère « préindustrielle ». Au-delà, les impacts perturbation des écosystèmes, tempêtes et inondations, manque d’eau, perte de rendement agricole, épidémies, etc. peuvent devenir massifs, voire imprévisibles : 30 % des espèces menacées d’extinction, libération de CO2 par les océans (qui le stockent actuellement), millions de réfugiés climatiques, etc. Il sera donc nécessaire, d’ici à 2050, d’avoir divisé par deux les émissions mondiales de gaz à effet de serre par rapport à leur niveau de 1990. Un délai difficilement compressible, car il faudra avoir modifié en profondeur des infrastructures aussi lourdes que le transport routier, l’habitat, etc. Une stabilisation des températures à +2 °C serait alors atteinte vers 2100 un éventuel retour à la situation précédente est hors sujet. « On ne peut très probablement plus agir sur la hausse du niveau des mers avant la fin du siècle » , prévient Hervé Le Treut, climatologue au Laboratoire de météorologie dynamique (Paris).
Ensuite, le Giec fixe des étapes intermédiaires indispensables. « Il est facile de s’engager pour l’horizon 2050, mais l’opinion publique et les pays en développement attendent des certitudes pour le moyen terme » , souligne Morgane Créach, au Réseau action climat. Il est déjà essentiel d’agir vite et fort, faute de quoi la cible serait ratée tant l’inertie du système climatique est importante. Deux points de passage obligés : les émissions mondiales de gaz à effet de serre devront avoir culminé d’ici dix à quinze ans ; et les pays industrialisés devront les avoir réduites de 25 à 40 % d’ici à 2020 par rapport à leur niveau de 1990, compte tenu de la forte croissance des émissions des pays « émergents » (Chine, Inde, Brésil, Afrique du Sud, etc.), qui revendiquent leur « droit au développement ».
Ce réalisme cru est pourtant presque utopique, tant la tendance tarde à s’inverser. L’année 2006, signale l’Organisation météorologique mondiale, est la pire jamais enregistrée pour les émissions de gaz à effet de serre
[^3], et les dernières nouvelles scientifiques, comme l’accélération de la fonte des glaciers, vont généralement dans le mauvais sens. « Une hausse de 1,5 °C des températures est déjà inéluctable » , soutient Hervé Le Treut. De fait, plusieurs spécialistes redoutent que la vraie bataille soit désormais d’éviter d’atteindre une augmentation de 3 °C…
[^2]: Son « Résumé à l’attention des décideurs » a été diffusé en novembre dernier.
[^3]: Les modestes engagements du protocole de Kyoto ne seront pas tenus. Les 36 pays industrialisés concernés devraient avoir réduit leurs émissions de 5,2 % par rapport à leur niveau de 1990. Si la Suède, l’Allemagne, le Royaume-Uni ou la France sont proches de leurs objectifs, l’Australie, les États-Unis, l’Irlande, le Canada ou le Japon en sont très éloignés, avec des dépassements de 20 à 30 %, voire de 40 à 55 % pour le Portugal ou l’Espagne.