Des politiques fragiles
La 4e Conférence latine de réduction des risques liés à l’usage de drogues a regroupé à Milan de nombreuses associations, qui ont fait part de leurs difficultés face aux législations et aux questions de financement.
dans l’hebdo N° 980 Acheter ce numéro
La 4e Conférence latine de réduction des risques liés à l’usage de drogues (<www.clat4.org>) s’est ouverte à Milan le jeudi 29 novembre. Créée en marge de l’International Harm Reduction Association (Association internationale de réduction des risques, IHRA), largement dominée par les pays d’Europe du Nord, qui, depuis plus longtemps, mènent des politiques d’aide en direction des usagers de drogues, elle a été une nouvelle occasion de dresser un bilan des actions engagées dans ce domaine politiquement sensible. De nombreux chercheurs et des représentants de centres d’accueil, de programmes d’échanges de seringues, de centres de soins spécialisés ou d’associations d’auto-support d’usagers de drogues se sont donc retrouvés en Italie.Le pays n’a pas été choisi au hasard par les organisateurs : il connaît en effet un retard manifeste en la matière.
Les associations de réduction des risques s’élèvent contre les politiques prohibitionnistes.
OLIVIER DOUBRE
Visiblement heureux d’accueillir les participants (espagnols, portugais, italiens, suisses, français, etc.), Leopoldo Grosso, conseiller du ministre de la Solidarité sociale, a d’emblée rappelé « les grandes difficultés » rencontrées par les initiatives italiennes de réduction des risques liés à l’usage de drogues, lancées en 1990 « par le bas, sans soutien des pouvoirs publics » .Après une période où les subsides de l’État et des collectivités locales semblaient enfin pérennes, celles-ci ont subi un nouveau recul important durant l’ère Berlusconi, de 2001 à 2006.
Née au cours des années 1980 dans les pays du nord de l’Europe dans le cadre de la lutte contre le sida, la réduction des risques (RdR) rassemble sous cette appellation l’ensemble des actions en direction des usagers de drogues exposés aux contaminations par des maladies graves (sida, hépatites…). Il s’agit ainsi de mener des campagnes leur expliquant les modes de transmission de ces infections, de mettre à leur disposition du matériel stérile (en premier lieu des seringues), de développer les produits de substitution aux opiacés (buprénorphine ou Subutex, méthadone) et d’améliorer en général l’accès aux systèmes de soin, qui, longtemps, refusaient de prendre en charge les usagers de drogues. Ainsi, en France, la première mesure de réduction des risques, qui a initié un véritable changement de culture des administrations publiques socio-sanitaires en la matière, fut la mise en vente libre des seringues, obtenue non sans mal en 1987 par la ministre de la Santé, Michèle Barzach. L’autorisation de mise sur le marché des traitements de substitution aux opiacés est ensuite intervenue en 1995. Elle a permis une baisse importante de la délinquance causée par les dépendances, la diminution de 80 % des overdoses, une réelle amélioration de la santé des usagers, désormais suivis par le corps médical, et une chute spectaculaire des contaminations par le VIH/sida parmi cette population… En 2004, la RdR a été reconnue par la loi.
En marge du contexte prohibitionniste international, ces résultats ont été confirmés scientifiquement et reconnus par les Nations unies. Pourtant, les politiques de RdR ont eu beaucoup de mal à s’affirmer dans les pays latins, en raison de fortes résistances politico-morales. C’est le double enseignement de cette Conférence latine : alors que le succès de ces politiques n’est plus à prouver, elles demeurent fragiles dans les pays du sud de l’Europe. Si la Suisse fait figure de bon élève, ayant développé tôt ce type de politiques, celles-ci ont récemment été l’objet d’attaques vigoureuses de la part de l’UDC, le parti d’extrême droite de Christophe Blocher, qui a remporté les élections fédérales. Au Portugal, après plusieurs années de gouvernement conservateur, le retour des socialistes au pouvoir a permis une avancée importante avec la distribution de seringues en prison, lieu de fort risque de contaminations. C’est même un des rares pays au monde à s’être engagé dans cette voie. En outre, les politiques de RdR sont maintenant enseignées à l’université de Porto ville qui accueillera la 5e Conférence latine en 2009. En France, comme dans d’autres pays, malgré les succès enregistrés ces dernières années, les structures continuent de connaître une grande précarité, en particulier financière.
Alors que s’achevait cet événement, le ministre italien de la Solidarité sociale, Paolo Ferrero, issu de Rifondazione comunista, a été quelque peu chahuté par la salle. Celle-ci lui reprochait de n’avoir pas encore, en dépit des engagements de la campagne électorale, réformé la loi de 2003 votée par la majorité berlusconienne, qui, pour la première fois en Italie, réprime le simple usage de stupéfiants. Le ministre, qui a pourtant préparé un projet en ce sens, a déploré que la très courte majorité parlementaire actuelle ne lui permette de le faire adopter, puisque certains de ses membres les plus au centre s’y refusent.
Un exemple qui rappelle que les cadres législatifs prohibitionnistes sont, bien entendu, une limite aux politiques de RdR, qui font pourtant partie des politiques de santé publique la France les a d’ailleurs incluses dans la loi en 2004. Le spécialiste de la géopolitique des drogues, Alain Labrousse, a d’ailleurs rappelé que, pour un dollar dépensé dans le monde pour le soin des usagers de drogues, douze l’étaient pour la répression ! Soin ou prison pour les consommateurs, les États continuent d’hésiter. Un dilemme qui n’a cessé d’être présent, en filigrane, durant cette Conférence.