« Il s’agit d’affaiblir les droits des travailleurs »
Le projet de refonte du code du travail, présenté le 11 décembre devant l’Assemblée nationale, est très controversé. L’analyse de Gérard Filoche, inspecteur du travail et membre du PS.
dans l’hebdo N° 980 Acheter ce numéro
Comment est né ce projet de refonte du code du travail ?
Gérard Filoche : Au moins de deux sources. Ceux qui, pour le discréditer, prétendent que le code du travail est « trop compliqué » , et ceux qui auraient voulu le simplifier sans toucher aux droits des salariés. Le Medef et la droite se sont glissés dans cette aspiration contradictoire. François Fillon a commandé le rapport Virville en 2004 ; et le Medef et l’UIMM [^2] ont présenté leurs « 44 propositions ». Un patron a même qualifié le code du travail de « charia » ! Laurence Parisot, elle, avait affirmé devant une caméra que « la liberté de penser [s’arrêtait] là où [commençait] le code du travail ». Les « caisses noires » d’argent sale de l’UIMM ont dû financer en sous-main cette opération.
Sur la méthode du gouvernement, vous parlez d’un « coup d’État »…
Il existe, en France, une commission supérieure de la recodification. Elle vise à simplifier, éclaircir et rationaliser les textes de loi et règlements. C’est beaucoup de travail, nécessaire souvent, mais rien que de très banal et qui, d’habitude, ne pose pas de problème. Mais là, en douce, la Commission de recodification du code du travail s’est mise au service du Medef et de la droite. Elle a à marche forcée et dans un silence général organisé trahi son mandat de « recodifier à droit constant » . Comme dans une vulgaire république bananière, elle en a profité pour passer le code à l’acide, le préparer aux changements libéraux voulus par le Medef et par le Livre vert européen, qui va dans le même sens. Cela s’est fait en secret et de façon obstinée.
Manifestation devant Bercy, le 27 novembre.
SAGET/AFP
La commission de rerédaction a d’abord été mise en place par Gérard Larcher, alors ministre délégué aux Relations du travail, le 16 février 2005. Puis Dominique de Villepin a forcé le pas avec le Contrat nouvelles embauches (CNE), l’apprentissage à 14 ans et à 15 ans, la restauration du travail de nuit et du dimanche. Il avait l’intention de promulguer le nouveau code en mai-juin 2006. Il l’aurait fait s’il n’avait été battu de façon écrasante par les mobilisations de masse contre le Contrat première embauche (CPE).
Le délai prévu par l’ordonnance de recodification était épuisé en octobre 2006. Alors, entêtée, la majorité parlementaire a glissé dans la loi sur « l’intéressement et la participation », promulguée le 30 décembre 2006, un « cavalier parlementaire » , l’article 57, qui renouvelait le délai du 1er janvier au 30 septembre. Et elle a osé le faire en pleine campagne présidentielle ! Un « nouveau code » de 663 pages a donc été rédigé dans le dos des syndicats et contre leur avis unanime. Puis le conseil des ministres du 18 avril a proposé de le faire ratifier par le Parlement. Non par une navette parlementaire habituelle, mais par une « ratification d’ordonnance ». Le Parlement reçoit 663 pages et doit les « ratifier » en quelques heures : c’est un coup de force antidémocratique contre un code qui est fait de cent trente années d’histoire sociale, de chair et de sang, de larmes et de sueur, de décennies de luttes des travailleurs.
Pour le gouvernement, cette recodification vise à rendre plus « lisible » et plus « facilement utilisable » le code du travail. L’objectif est-il atteint ?
Tout est modifié et rien n’est à « droit constant ». Le gouvernement ment. La preuve est là : le redécoupage effectué ne « simplifie » absolument pas, mais complexifie, le droit du travail. Les membres de la commission ont redécoupé le code de 9 livres en un code de 8 parties : mais là ou il y avait 271 subdivisions, on arrive à 1 890. Là ou il y avait 1 891 articles de loi, il y en a maintenant 3 652 ! Surtout, ils ont déclassé près de 500 lois en décrets modifiables à l’avenir, sans repasser par le Parlement. Ces déclassements concernent l’intégralité d’un article dans 61 cas, et des alinéas, phrases, membres de phrase ou mots dans 439 cas. Ils ont enlevé l’apprentissage du contrat de travail, placé l’inspection dans « l’administration du travail », alors qu’elle était indépendante. Le conseil des prud’hommes disparaît au profit du « juge judiciaire ».
La recodification porte, en matière d’hygiène et de sécurité, la responsabilité des salariés à un niveau quasiment égal avec celle des employeurs, avec la création d’un chapitre intitulé « Obligations des travailleurs ». Elle insère le droit de grève dans la partie « négociation collective », alors que le droit de grève est constitutionnel et donc non négociable. On a séparé la question des horaires de la partie des conditions de travail. L’article sur la définition du licenciement économique lié au principe de regroupement est coupé en deux et fait l’objet de deux nouveaux articles placés dans des sections différentes : le lien entre l’obligation de reclassement et le licenciement économique est ainsi rompu. Bref, des points de doctrine décisifs et des milliers de « détails » importants ont été changés. En tout, il nous a fallu 85 pages de comparaison entre les nomenclatures des deux codes pour découvrir le pot aux roses. Mais le projet est clair : il s’agit d’affaiblir les droits des salariés, des syndicats, des inspections du travail, des prud’hommes et le droit du licenciement.
**Le vote a été reporté au 11 décembre, sous la pression des élus de la gauche…
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Devant ce projet, la gauche a été unie. Le bureau national du PS et son groupe parlementaire avec les Verts et le PCF ont mené la bataille efficacement, au point que l’UMP a dû reporter ce vote ! Le montage antidémocratique a été percé à jour, le code doit être sauvé, restauré, et l’hypocrite entreprise de recodification doit être condamnée devant le Conseil constitutionnel !
[^2]: Union des industries et métiers de la métallurgie.