Traité européen : ni modifié ni simplifié, il faut voter !
Le nouveau traité européen que les chefs d’État et de gouvernement s’apprêtent à signer le 13 décembre, à Lisbonne, ne correspond pas à la présentation qu’on en donne ordinairement.
dans l’hebdo N° 979 Acheter ce numéro
L’Europe a un problème avec le peuple. Le nouveau traité européen que les chefs d’État et de gouvernement vont signer le 13 décembre, à Lisbonne, en apporte une nouvelle fois la preuve. Ce texte, qui réorganise une Union se fixant pour premier objectif de « promouvoir […] le bien-être de ses peuples » , a été conçu dans le huis clos des chancelleries, élaboré par un cénacle de juristes-experts, loin du regard des citoyens. Ces derniers ne seront même pas consultés au terme de cette procédure puisque les Vingt-Sept se sont entendus pour qu’aucun référendum, hormis en Irlande, où c’est une obligation constitutionnelle, ne soit organisé sur le traité de Lisbonne. Singulier paradoxe que de vouloir faire le bonheur des peuples il n’existe pas encore de peuple européen en se passant de leur assentiment
Parade européenne à Varsovie le 7 mai 2007.
RABWANSKI/AFP
Ce n’est hélas pas le seul. On se souvient de l’injonction de Valéry Giscard d’Estaing lors de la campagne référendaire sur le traité constitutionnel européen : « Il est inutile de lire la partie III » , nous répétait-il. Bravant cet interdit, bien des électeurs se sont plongés dans le texte qu’on leur soumettait. Ils y ont découvert un carcan de règles économiques que ne contrebalancent pas des « droits » sociaux non garantis. Le 29 mai 2005, ils ont voté « non » à 55 %. Cette fois, tout est fait pour nous empêcher même de lire le nouveau traité que l’on nous destine. Celui-ci se présente en effet comme une collection d’amendements le plus souvent abscons, dispersés façon puzzle au fil de quelque cent cinquante pages. Illisible pour les citoyens, le nouveau texte l’est aussi pour les parlementaires, qui seront pourtant les premiers (et peut-être les seuls) à se prononcer dessus. Et pourtant nul n’est censé ignorer la loi.
C’est la raison pour laquelle nous nous sommes efforcés de décrypter le nouveau traité, présenté bien à tort comme « simplifié » . L’exercice n’a pas été facile puisqu’il nous a fallu constamment nous reporter aux deux traités qu’il modifie, le traité de l’Union européenne (Maastricht) et le traité instituant la Communauté européenne (Rome), pour juger de la nature des changements opérés. Le résultat de cet examen contredit bien des vérités toutes faites que l’on nous assène pour nous convaincre qu’il n’y a rien à voir et qu’il faut laisser passer le traité de Lisbonne.
Premier constat : Nicolas Sarkozy n’est pas « le sauveur de l’Europe » que la plupart des médias nous ont présenté après l’accord des Vingt-Sept, le 23 juin, sur le mandat de la Conférence intergouvernementale (CIG) qui a permis la rédaction de ce nouveau traité en un temps record. Les négociations étaient bien avancées avant son élection. L’idée d’un nouveau traité qui reprendrait les principales innovations du traité constitutionnel tout en bannissant le mot « constitution » était admise depuis la présidence finlandaise du second semestre 2006. Nos partenaires européens attendaient uniquement de savoir à quelle condition le chef de l’État français fraîchement élu négocierait ce nouveau traité. Cela autorisait le nouvel élu à présenter des exigences en se réclamant du « non » français et des débats de la présidentielle. Il n’en a rien fait.
Alors qu’Angela Merkel, qui assurait alors la présidence tournante de l’Union, avait émis l’hypothèse qu’un protocole social soit annexé au traité, Nicolas Sarkozy ne l’a pas demandé. Après ses diatribes contre la Banque centrale européenne, il eût été logique qu’il propose des modifications à son statut. Nicolas Sarkozy n’a rien négocié. Et pour cause : tant que les traités ne seront pas changés, l’Europe libérale ne sera pas une option mais une obligation. L’UMP y trouve son compte. Elle utilise cette contrainte extérieure pour imposer « sa » modernisation de l’économie française et briser les résistances sociales.
Second constat : comme feu la « Constitution » européenne, le traité de Lisbonne procède à une refonte des traités en vigueur. Ce n’est pas rien. D’autant que, pour reprendre le jargon bruxellois, la « substance » du traité constitutionnel est préservée. Les différences entre les deux textes sont d’ordre cosmétique ; l’emballage a changé, mais le contenu est sensiblement le même. À lui seul, ce constat justifierait que le peuple soit à nouveau consulté. Ne pas consulter le peuple en 2005 sur un texte appelé à devenir la loi fondamentale commune aux peuples de l’Union européenne aurait été inacceptable. L’avoir consulté et l’on se souvient que Nicolas Sarkozy s’était prononcé à l’époque pour un référendum puis considérer sa décision comme nulle et non avenue est pire encore. C’est un déni de démocratie.
Contre ce mépris du peuple, Politis s’est engagé aux côtés du Comité national pour un référendum ^2. Celui-ci avait déjà recueilli mardi 35~000~signatures. Sans consultation populaire, on le sait, il n’y aura pas de vrais débats sur l’avenir de l’Europe et sa finalité. Cela suppose à tout le moins que les citoyens soient informés. À la place qui est la nôtre, avec notre point de vue, nous nous efforçons d’y contribuer.
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