Une question de respect

Face aux promesses non tenues du gouvernement, les Enfants de Don Quichotte ont tenté une nouvelle action à Paris, vite réprimée. Les associations détaillent les mesures à mettre en œuvre rapidement.

Ingrid Merckx  • 20 décembre 2007 abonné·es

Personne n’a jamais prétendu que les tentes pouvaient être une solution. Ni Médecins du monde, qui entendait par ce moyen offrir un peu d’intimité aux sans-abri et rendre visible leur détresse sur les trottoirs. Ni les Enfants de Don Quichotte, qui ont lancé l’idée de campement massif l’hiver dernier sur le canal Saint-Martin. Les tentes, c’est l’ultime recours « pour permettre à des personnes sans domicile de se regrouper dans un lieu où elles pourront bénéficier d’une aide humanitaire de base » et « pour permettre à des citoyens avec ou sans domicile fixe d’interpeller ensemble l’opinion et les pouvoirs publics » , expliquent les Don Quichotte dans un texte intitulé « Pourquoi une nouvelle action ». Ils avaient annoncé un nouveau campement pour le 15 décembre à Paris. Ils l’ont fait. Bravant les menaces du ministère. Poursuivant l’action sur le parvis de Notre-Dame, après avoir été violemment expulsés des berges de la Seine. Les quelque deux cents cinquante tentes montées samedi n’ont pas tenu deux heures face à la police. Mais elles ont résisté suffisamment longtemps pour faire la une des journaux télévisés du week-end. Mission accomplie ? Une première étape au moins : mettre les sans-abri sur le devant de la scène « parce qu’ils ne peuvent ni bloquer des ports ni bloquer des gares » , a résumé Augustin Legrand, porte-parole des Don Quichotte. Seconde étape : forcer l’État à respecter ses engagements.

Illustration - Une question de respect

Intervention des forces de police sur les quais de la Seine.
SAGET/AFP

« Ce n’est pas le défi des Don Quichotte, c’est le défi de tout le monde » , martelait Martin Choutet, membre de l’association, le 15 décembre devant Notre-Dame. « Il est dommage d’en arriver là , a estimé Pierre Levené, secrétaire général du Secours catholique, qui avait rejoint les Don Quichotte dans l’après-midi. Simplement, à un moment, il faut que les habitants de ce pays se réveillent. Si nous ne faisons pas dans le médiatique […], nous ne sommes pas entendus. Nous sommes donc obligés de nous fâcher. » Se fâcher pour dire une réalité souvent masquée. « Actuellement, tous les jours, à Paris, une centaine de personnes se voient refuser un hébergement par le 115, faute de places » , affirment les Don Quichotte. « Faux », répond la ministre du Logement, Christine Boutin, pour qui « il reste des places libres à Paris » . « Mais dans des dortoirs indignes » , rétorque Augustin Legrand.
Deuxièmement, les engagements pris le 8 janvier 2007 dans le cadre du Plan d’action renforcé en faveur des sans-abri (Parsa) ne sont qu’à moitié respectés. Si les conditions d’hébergement ont été améliorées, la mise à disposition de places dans les dispositifs d’offre de logement, libérant ainsi des places d’hébergement, est loin d’atteindre les objectifs fixés. Par exemple, sur les 1 600 places prévues en logis-relais, moins de 150 ont été attribuées, selon le Secours catholique. Au total, les associations estiment que 14 000 places ont été créées sur les 27 100 annoncées par le Parsa. C’est par respect envers les 13 000 personnes sans solution que les Don Quichotte ont ressorti les tentes.
« Le plan d’action 2007 en faveur des sans-abri a été respecté », a déclaré Christine Boutin dans un communiqué le 13 décembre. De quoi préparer, après la bataille des symboles, la guerre des chiffres. Si la ministre reconnaît qu’il manque 6 000 places en maisons-relais (pour faire la transition entre hébergement et logement), elle argue que « la construction de logements demande un petit peu de temps » .

Pour Christophe Robert, de la Fondation Abbé-Pierre, « au-delà du Parsa se pose la question de l’impossibilité de mettre en oeuvre la loi sur le droit au logement opposable [Dalo] » , qui doit entrer en vigueur le 1er janvier 2008. Le 15 octobre, le comité de suivi du Dalo a remis 37 propositions pour rendre cette loi effective. « Mais le budget de l’État pour 2008 ne prévoit pas les moyens nécessaires » , anticipent les Enfants de Don Quichotte, qui citent comme priorités : la réduction des besoins en agissant sur les logements indignes, la croissance du parc de logements pour les ménages prioritaires, la production de vrais logements sociaux, l’amélioration de la qualité des centres d’hébergement et l’augmentation d’habitats-relais. Il manquerait un milliard d’euros dans le budget de l’État pour qu’il puisse tenir ses promesses.

Pour faire retomber la polémique, le gouvernement vante la reprise du dialogue. Le 17 décembre, Christine Boutin a reçu les associations « institutionnelles » de soutien aux sans-abri. Le Premier ministre, François Fillon, devant jouer les juges de paix le lendemain. Mais que pourra-t-il se dire dans les officines que l’on ne sache déjà ? Le 5 décembre, les associations d’insertion rassemblées en conférence de consensus par la Fnars ont publié un gros rapport détaillant les mesures à prendre pour « sortir de la rue » : respect des engagements du Parsa et du Dalo ; droit inconditionnel à un accueil ; prévention des expulsions locatives ; non-abandon des sortants d’hôpital ou de prison ; bourse d’insertion pour les 18-25 ans ; mutualisation des dispositifs de prise en charge ; cohérence interministérielle…

« Il n’y a aucune fatalité » , répètent les Enfants de Don Quichotte, qui voient mal comment la « stratégie » défendue par l’État va pouvoir enrayer un système de portes tournantes. Qui renvoie à la rue ceux qui ont pu, un temps, en sortir.

Société
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