Carrés verts sur fond gris

Les parisiens se bousculent pour obtenir un bout de terre dans l’un des quarante-cinq jardins partagés de la capitale. L’occasion de réapprendre par la même occasion l’autogestion et l’art de vivre ensemble.

Claude-Marie Vadrot  • 24 janvier 2008 abonné·es

Depuis que les jardins partagés, parfois appelés jardins solidaires, ont commencé à coloniser la capitale, nombre de Parisiens réalisent que la nature n’est pas un mobilier urbain, un joli décor nettoyé et entretenu par des jardiniers qui grondent dès qu’un ballon fauche quelques fleurs. Avec une évidence que les plus citadins ont parfois oubliée : quand on plante ou sème, ça pousse. Parfois. Quand on ne plante ou sème pas, ça ne pousse pas, a priori . Mais d’autres choses peuvent sortir de terre, comme dans la parcelle sauvage de Gilles Roux, au Poireau agile, rue des Récollets (Xe arrondissement), où les graines portées par le vent et les oiseaux font jaillir herbes et plantes surprenantes. Preuve que la biodiversité peut exister partout.

Gilles Roux préside l’association qui gère ce jardin ouvert. Son amour des pousses sauvages choque parfois les traditionalistes du jardinage et autres partisans des fleurs et légumes bien alignés, mais la coexistence s’organise doucement. Ce qui fait à la fois le plaisir et la fierté du président quand il arpente les 130 mètres carrés que comprend cet espace de liberté conquis de haute lutte, comme le reste du jardin Villemin, sur lequel il ouvre.

Il n’y a pas si longtemps, la plupart des élus parisiens ne pensaient qu’à construire au bord du canal Saint-Martin. Il a fallu l’arrivée des Verts à la mairie pour que les habitants, de n’importe quel arrondissement, puissent trouver une réponse à leur envie de jardinage. Preuve fut faite avec ce jardin libre d’accès ­ idem rue de la Réunion (XXe) ­ que le respect du plaisir des autres finissait par s’imposer à tous. De fait, nul n’importune les oiseaux dans la baignoire que leur a imaginée l’architecte des lieux. Gilles Roux raconte, en désignant un jeune qui joue à quelques mètres : « Au début, il traversait les parcelles en VTT, maintenant, quand son ballon roule sur les fraisiers, les fleurs ou les poireaux, il s’excuse. Ces parcelles permettent aussi de réapprendre à coexister. Les affrontements de cultures et d’habitudes finissent par s’apaiser avec le temps, et les conversations. »

Au Potager des oiseaux, dans la rue du même nom, au coeur du IIIe arrondissement, Jeannine renchérit : « L’autogestion d’un espace, si petit soit-il, n’est pas facile et demande un réapprentissage du vivre-ensemble, mais je ne connais pas dans ce quartier de lieu où les gens se parlent autant et si longtemps. »

Dans les 45 jardins partagés mis en place depuis 2001, à l’image de ce qui se fit à New York, à Lille ou à Lausanne, des individus, des associations ou des écoles s’essaient avec un succès grandissant à une cohabitation que beaucoup pensaient impossible. Au départ, Yves Contassot, responsable de la politique des jardins à la Ville de Paris, était réticent : « Je n’imaginais pas la mairie en train de distribuer des parcelles en fonction d’une liste d’attente. Alors, en créant le réseau Main verte, notre position a été claire. Nous trouvons ou sauvons des espaces, mais c’est aux associations de quartier de gérer et d’organiser ces jardins. À elles de définir des règles et de répartir les surfaces. Nous avons réussi au-delà de nos espérances, et, dans une prochaine mandature, je pense que nous pourrons arriver à 150 jardins partagés, notamment en leur réservant des espaces dans les jardins publics existants ou à venir. »

Alice Le Roy, qui anime le réseau Main verte, explique : « Il a fallu faire comprendre que le jardin peut et doit exister en ville. Ce n’est pas une lubie des Verts, mais un besoin que nous avons découvert puis facilité. Le succès montre qu’il existe peu d’endroits pour discuter et que l’on peut et doit faire confiance aux habitants. Mais c’est vrai qu’il faut du temps pour faire de l’éducation environnementale, pour convaincre d’abandonner les produits phytosanitaires. Notre regret : avoir attiré peu d’adolescents. »

Au centre du jardin partagé de 1 000 mètres carrés installé au fond du jardin Casque-d’Or, rue de la Réunion, un ado hausse gentiment les épaules : « Ça sert à quoi de faire pousser ces légumes ? C’est plus simple de les acheter. Et puis, en ville, avec la pollution, ils ne doivent pas être bien bons. Tu les mangerais, toi, leurs pommes ? » Le jardin est désert, trois de ses responsables viennent de partir, après y avoir déjeuné sous le soleil hivernal et expliqué que leur règle autogestionnaire leur interdisait de parler sans l’accord du collectif de gestion. Avec ses arbres fruitiers, ses grandes planches gérées collectivement, sans parcelle « privative », ils règnent depuis quelques mois sur l’un des plus beaux espaces collectifs de Paris, qui doit être « un lieu de convivialité pour tous ».

Écologie
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