Ce qu’en pense la gauche de la gauche ?
dans l’hebdo N° 986 Acheter ce numéro
Roger Martelli, historien (PCF)
« La méthode n’est pas heureuse »
« Je préfère une LCR occupant le terrain du rassemblement à une LCR tournant le dos à sa possibilité, comme elle l’a fait dans le cadre du rassemblement antilibéral. En l’état, je ne me satisfais pourtant pas de la proposition politique de la majorité de la LCR. Quelle doit être l’ambition ? Porter un projet alternatif moins « anti » que « pro » qui rompe avec le social-libéralisme et le recentrage ; créer les conditions pour que ce projet ne soit pas l’attribut d’une minorité résolue, mais l’axe d’organisation majoritaire de la gauche tout entière. Pour l’instant, que ce soit conscient ou non, la LCR insiste sur le premier terme au détriment du second : le projet politique s’en trouve d’emblée fragilisé.
Par ailleurs, la nouvelle force, pour remplir sa mission, doit être pluraliste, ouverte en pratique et non pas en intention à l’éventail le plus large des courants, des sensibilités, des engagements et des générations critiques. Aucune force n’est en état d’opérer cette agrégation : ni les formations constituées (PCF, LCR), ni les ébauches antérieures de regroupement (les formes du rassemblement antilibéral). L’émergence d’une force nouvelle ne peut donc procéder que d’une mise en commun préalable. Tout ce qui, même involontairement, fonctionne comme un processus d’élargissement à partir d’une composante particulière contredit la communauté de projet. Pour l’instant, nous avons une formule de rassemblement à partir et autour de l’expérience de la LCR. Ce n’est pas une méthode heureuse. »
Éric Coquerel, président du Mars
« Vingt ans en arrière »
« Tout le monde, y compris la LCR, perçoit le besoin d’une nouvelle force à gauche capable de porter un projet de transformation. Mais, quand le risque existe de voir la gauche tout bonnement disparaître au profit d’une force qui s’adapte au libéralisme à la mode américaine et ne serait plus que « progressiste », est-ce que l’heure n’est pas à reconstruire tout simplement une vraie gauche plutôt qu’une gauche révolutionnaire ? Quand la LCR explique que la ligne de partage sera l’indépendance totale vis-à-vis de toute la gauche de gouvernement et des institutions, on ne peut pas être d’accord.
L’urgence aujourd’hui, c’est de reconstruire un projet majoritaire. Même si la LCR dispose avec Olivier Besancenot d’un leader de talent incontestable, surtout quand il fait de l’antilibéralisme, un parti révolutionnaire ne peut y prétendre en France. En revanche, la possibilité de construire un vrai parti de gauche, porteur d’un projet de transformation sociale majoritaire, existe encore.
Avec un look plus moderne, la LCR est repartie plus de vingt ans en arrière. Elle dit faire un parti anticapitaliste, mais ne se pose ni la question des institutions ni celle de la prise du pouvoir majoritaire dans ce pays. Or, celle-ci ne se fait pas seulement par la grève générale. Ce parti répond peut-être au souhait de la LCR de grossir, mais pas à ce dont a besoin la population de ce pays : résister à la droite et construire une vraie gauche de transformation. C’est d’autant plus dommage que cet objectif est accessible. »
Jean-Jacques Boislaroussie, porte-parole des Alternatifs :
« Le parti d’Olivier Besancenot »
« Le projet de la LCR repose sur le constat de l’évolution du PS vers un parti démocrate ou un centre-gauche à la française, sur la volonté de contribuer à l’émergence d’une nouvelle génération militante, enfin sur la double illusion d’une centralité de la LCR à gauche du PS et d’un tête-à-tête entre les radicalités sociales et le parti d’Olivier Besancenot.
D’autres projets sont en gestation : celui d’une Linke à la française nécessiterait le dépassement du PCF et la rupture du courant Mélenchon avec le PS. La gauche alternative, écologiste, altermondialiste est, pour sa part, encore dispersée entre les Alternatifs, des collectifs antilibéraux, des courants dégagés par la crise de l’écologie politique. Elle est présente dans les mobilisations du salariat et du précariat, comme sur les terrains culturels, de l’alterconsommation, de l’économie sociale, ou dans la bataille contre les OGM.
Beaucoup nous sépare du projet de la LCR : autogestionnaires, nous ne considérons pas une force politique comme « le » débouché naturel des luttes sociales ; nous assumons les dimensions à la fois réformiste et révolutionnaire d’un projet alternatif ; nous prenons acte de la diversité du camp de la transformation sociale, en travaillant, toujours, aux convergences.
Mais nous ne renonçons pas à retrouver la LCR, avec d’autres, pour des États généraux de la gauche de transformation sociale et écologiste. Car aucun parti ne sera, à lui seul, en mesure de mener le combat idéologique, social et politique contre le capitalisme, et de construire un projet alternatif crédible. »
Claude Debons, ex-syndicaliste (Maintenant à gauche) :
« Une double sous-estimation »
« La proposition de la LCR d’un nouveau parti révolutionnaire s’inscrit dans une analyse qui sous-estime l’ampleur et la globalité de l’offensive sarkozyste de reformatage du modèle social et républicain français, de rupture avec les traditions issues du gaullisme et du pacte social issu de la Résistance, et l’ampleur de la dérive du PS qui amorce une rupture avec tous les liens qui le rattachaient au mouvement ouvrier. Cette double sous-estimation conduit la LCR à considérer que les changements ne sont pas tels qu’ils nécessitent des réponses politiques neuves, d’où le projet d’un petit parti révolutionnaire dépassant la LCR mais organisé essentiellement autour de la LCR.
Je considère que la gravité de l’offensive sarkozyste et l’ancrage du PS au centre-gauche appellent au contraire la refondation d’un authentique parti de gauche qui occupe l’espace libéré par la dérive du PS et qui soit à vocation majoritaire pour contrer l’offensive sarkozyste. »
Francine Bavay, (AlterEkolo)
« Miracle médiatique »
« Le spectacle désastreux offert par le PS et les Verts sur une question simple comme l’appel à un referendum sur le traité de Lisbonne démontre, si c’était encore à faire, la situation comateuse de la gauche. En réaction, la cote médiatique d’Olivier Besancenot explose. Cela présage-t-il d’une solution pour revigorer la gauche ? Ma réponse est non.
Trois types d’attitudes prévalent face à ce qui est une crise de toute la gauche.
Le recours au miracle : c’est la solution d’Yves Cochet pour les Verts ; on dissout et, par une transmutation nocturne, on recrée le lendemain un parti de nature autre. Le pragmatisme sans entraves : les partis sont l’outil de reproduction des élus, on compte sur les municipales pour se refaire, quitte à s’allier avec la droite, quelle qu’elle soit.
La tentative d’invention citoyenne que poursuivent, certes difficilement, les collectifs antilibéraux, pas assez antiproductivistes.
L’appel à création d’un nouveau parti par la « LCR d’Olivier Besancenot » s’apparente au « Cochetisme », à un changement de nature lié non pas à un mouvement social (comme on eût pu l’attendre de la part de la LCR), non pas à une dynamique électorale (cela n’est pas bien assumable pour ceux qui revendiquent leur « indépendance » par rapport aux institutions électives), mais bien au miracle médiatique : un jeune homme unanimement reconnu comme télépugnace transforme le parti trotskiste en parti guévariste ou… besançonien ? »
Yves Salesse, collectifs unitaires antilibéraux*
« Un remake des proclamations de 2002 »
« La direction de la LCR, suivie par celle du PCF, a choisi en 2006 de briser la dynamique issue de la campagne du « non ». Nous voyons le résultat et la force qu’aurait aujourd’hui un rassemblement de la gauche antilibérale face à Sarkozy et à la déconfiture du PS. Nul ne sait si et quand une telle occasion de recomposer la gauche en France se représentera.
De ce gâchis, la LCR se sort mieux que d’autres. Les sondages relatifs à Olivier Besancenot attestent que l’aspiration à l’intervention d’une force de gauche de transformation sociale n’a pas disparu. Tant mieux.
La direction de la LCR propose de construire un grand parti anticapitaliste. Est-ce le signe d’une évolution ? Malheureusement non. La proposition de la LCR, remake de ses proclamations du lendemain de la présidentielle de 2002, se résume à son propre grossissement. Elle se renforcera sans doute. Cela ne répondra pas au besoin d’émergence d’une force de la gauche de transformation.
Pour une raison simple. Une telle force ne se construira pas autour d’une seule organisation. Pour recréer une dynamique, il faut qu’apparaissent, visibles, la convergence et la volonté de plusieurs sensibilités et courants. Je souhaite que la LCR prenne conscience de l’urgence du besoin de ce rassemblement. Il est plus que jamais nécessaire. C’est ce qu’ont réaffirmé les Assises des collectifs unitaires antilibéraux. C’est le sens de la proposition d’États généraux de toutes les composantes de cette gauche de transformation. »