Coupable d’avoir raison
Le chercheur Pierre Meneton est attaqué par des lobbies industriels pour avoir dénoncé l’incitation à la surconsommation de sel. Son cas, exemplaire, pose le problème de la protection des « lanceurs d’alerte ».
dans l’hebdo N° 987 Acheter ce numéro
n scientifique est poursuivi pour diffamation par le lobby du sel. Pierre Meneton, chercheur au sein du département de santé publique et d’information médicale de l’université Descartes à Paris, passe en jugement jeudi devant le tribunal de grande instance (TGI) de Paris pour avoir affirmé : « Le lobby des producteurs de sel et du secteur agroalimentaire industriel […] désinforme les professionnels de la santé et des médias. »
Des sauniers de la société des Salins du Midi recueillent des cristaux de fleur de sel. FAGET/AFP
Cette affaire pose le problème de la protection de ceux qu’on appelle les « lanceurs d’alerte », Cassandre modernes qui informent la société civile et les pouvoirs publics des risques sanitaires et environnementaux, quitte à contrarier des intérêts économiques et des industriels peu regardants sur les problèmes d’éthique (voir n° 872 de Politis ). Nous sommes tout à fait dans ce cas de figure. La phrase incriminée, prononcée au cours d’un entretien dans le magazine TOC , se fonde en effet sur de nombreuses études médicales et scientifiques. Le lien a pu être établi entre la présence de surdoses de sel dans notre alimentation et des maladies cardiovasculaires (et ce, dans plusieurs pays). Cela n’empêche pas les lobbies agroalimentaires de faire état d’études qui leur sont favorables. Au mois de mars 2007, le magazine Que Choisir (n° 446) dénonçait ces « études » « menées à l’occasion par des chercheurs amis de la filière qui ne trouvent aucune relation entre sel et hypertension » .
Dans son enquête, TOC mettait en évidence les enjeux économiques de cette affaire. Le sel ne donne pas seulement plus de goût aux aliments, il capte aussi l’eau et alourdit les produits, qui peuvent ainsi être vendus plus chers. Sans compter qu’il stimule la soif et augmente la consommation de boissons. Au total, ce supplément de sel représente un enjeu de six ou sept milliards d’euros par an.
On comprend, dans ces conditions, que le lobby du sel, Comité des Salines de France et compagnie des Salins du Midi et des Salines de l’Est, n’ait pas apprécié les propos, pourtant incontestables, de Pierre Meneton, et qu’il ait déposé une plainte en diffamation à l’encontre du chercheur et du magazine TOC pour la publication de l’article « Sel, le vice caché », en mars 2006. La fondation Sciences citoyennes (FSC) et l’association Robin des toits (pour la sécurité sanitaire dans les technologies sans fil) apportent leur soutien à Pierre Meneton. Un rassemblement devait avoir lieu devant le TGI de Paris le jour du procès. En première ligne dans cette bataille, la FSC, créée en 2002, s’efforce de réunir des « chercheurs scientifiques, critiques et profanes » et de les unir dans une action de politisation de la science et de l’expertise des secteurs comme l’agriculture, l’énergie, la biologie médicale et la santé environnementale. Elle s’est attaquée au problème du statut des lanceurs d’alerte et de leur protection contre la répression. La fondation a proposé une loi de protection et de l’expertise au Grenelle de l’environnement (les 24, 25 et 26 octobre 2007).
La législation élaborée par la FSC est centrée sur trois points essentiels. D’abord, la transparence sur les conflits d’intérêt. Pour y parvenir, les expertises, souvent financées par les entreprises elles-mêmes, doivent être contradictoires, pluralistes et surtout indépendantes. Ensuite, un traitement effectif des alertes environnementales. La création d’une Autorité administrative indépendante permettrait d’accomplir ce traitement, selon la FSC. Elle souligne l’importance de la définition des critères de recevabilité des alertes. Ils doivent impérativement faire preuve d’une grande précision, pour contrer les éventuelles dénonciations abusives de certains lanceurs d’alerte. Mesure caractéristique d’une impartialité, d’une bonne foi manifeste et de la priorité de l’intérêt général. Le troisième point consiste en une reconnaissance et une valorisation de l’expertise citoyenne comme pilier de la démocratie écologique. La FSC soumet l’idée d’un fonds de la recherche citoyenne équivalant à 5 % du budget de la recherche publique des domaines concernant l’environnement et la santé. Ce qui financerait des partenariats entre des organisations citoyennes et des laboratoires de recherche publics. Mais ce cadre législatif souhaité par la FSC n’a pas été repris au moment des négociations du Grenelle de l’environnement. Ce projet reste donc en suspens. Pourtant, deux lois existent déjà à l’étranger. En 1998, le « public Interest Disclosure Act » a été promulgué en Grande-Bretagne, et, en 2002, le « Whistleblower Protection Act » a vu le jour aux États-Unis. Dans ces lois, il est de la responsabilité des salariés de prévenir tout risque pouvant porter atteinte à l’environnement et à la santé publique. Ces textes prennent des dispositions concrètes pour la protection des lanceurs d’alerte. L’affaire Meneton permettra-t-elle une prise de conscience ?