Courrier des lecteurs Politis 987
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La une de faux culs
Selon la une du n° 985 de Politis , développée par l’article de Michel Soudais, ceux qui s’opposeraient à la modification de la Constitution française en congrès imposeraient à Sarkozy le vote des Français par référendum sur le traité de Lisbonne. Ayant démontré que c’est exactement le contraire, y compris sur le blog de Politis (voir un résumé de mon argumentation dans http://lipietz.net/spip.php?article2160), je suis donc assimilé à un « faux cul ». Charmant.
Le problème est simple. Je suis, comme la quasi-unanimité des Verts, pour l’organisation d’un référendum sur le traité de Lisbonne et pour y voter « oui », comme nous avons appelé à voter « oui » au TCE, comme j’ai voté « non » à Maastricht et à Nice. Le traité de Lisbonne, moins favorable certes que le TCE, reste quand même nettement moins libéral que l’actuel traité de Maastricht-Nice.
Or, les articles 11, 54 et 62 de la Constitution française et la décision du Conseil constitutionnel du 20 décembre dernier sont formels : on ne peut pas organiser de référendum sur le traité de Lisbonne, ni même le ratifier de toute autre manière, avant d’avoir modifié la Constitution française (essentiellement sur des points de vocabulaire, les modifications de fond qui auraient permis l’adoption du TCE ayant déjà été adoptées).
Si, donc, la tactique Fabius-Emmanuelli l’emporte, 40 % de parlementaires français auront, par un tour de procédure, empêché le peuple français et 26 autres peuples européens de se prononcer sur le traité de Lisbonne, qui rejoindra d’office le TCE aux poubelles de l’histoire. Les Irlandais, qui sont en train de préparer leur propre référendum sur Lisbonne, n’auront plus qu’à l’annuler. Et tout cela prétendument pour « forcer Sarkozy à organiser un référendum »… que ce vote rendrait anticonstitutionnel.
Pour Michel Soudais, je fais du « juridisme » . Qui aurait pensé, il y a trois semaines, que Politis appellerait Sarkozy à organiser un référendum anticonstitutionnel ? Je déteste la Ve République, mais elle a été adoptée par les Français par référendum, et je suis contre les coups d’État, surtout confiés à Sarkozy.
Michel Soudais, qui admet le problème, m’oppose un argument de Michel Rousseau : « Après que la modification de la Constitution ait été battue en Congrès, ya ka organiser un référendum sur le référendum, c’est-à-dire faire renverser le vote du Congrès par un premier référendum pour la modification de la Constitution, le gagner, et ensuite organiser le référendum sur le traité. »
Très drôle en effet. Petite question : à ce premier référendum (sur la Constitution française), MM. Fabius et Emmanuelli voteront « oui », pour permettre le second référendum, le vrai, sur Lisbonne, alors qu’ils auront voté « non » à la même question au Congrès de Versailles ? Et si le « oui » passe à ce premier référendum, qu’est-ce qui obligera Sarkozy à faire adopter le traité de Lisbonne par un second référendum et pas par voie parlementaire ? Sa bonne foi ? Son sens de l’honneur ? Excellent.
En fait, les nonistes de 2005 tremblent à l’idée que, consulté par référendum, le peuple pourrait changer d’avis et adopter le traité de Lisbonne (un peu moins bon mais assez proche du TCE). Or, c’est son droit le plus strict, au peuple, comme de ne pas revoter Sarkozy en 2012.
Alors MM. Fabius, Emmanuelli et Soudais, s’il vous plaît, votez « oui », votez « non » à Lisbonne, mais par pitié laissez-nous voter, en ne bloquant pas le vote par un artifice de procédure.
Alain Lipietz
Je n’ai pas opposé un argument de Michel Rousseau à l’argument d’Alain Lipietz, encore moins avec des propos que ce dernier invente pour les besoins de sa démonstration. J’ai cité Dominique Rousseau parce que ce constitutionnaliste reconnu, membre de l’Observatoire du 6 mai, m’apparaît qualifié pour délivrer un avis autorisé. Tout lecteur de bonne foi peut s’y reporter.
M. S.
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Choix de photos**
Ce que vous avez publié dans le n° 985 de Politis sur le comportement du Parti socialiste m’a beaucoup intéressé, ne serait-ce qu’en raison de mon adhésion à cette formation (depuis 1977). Je n’ai nullement l’intention d’ouvrir un débat sur le fond de l’éditorial de Denis Sieffert et de l’article de Michel Soudais, ou de me livrer à une critique des critiques qu’ils adressent aux dirigeants du PS. D’autant plus qu’elles me paraissent souvent fondées. Parfois non, mais ce genre de débat n’aurait pas sa place dans un courrier des lecteurs, nécessairement bref. En revanche, le choix des images m’a paru pour le moins limite et, cela, je tiens à vous le dire. Les deux photos, et d’ailleurs les seules, qui illustrent l’article consacré au « bal des faux culs » montrent François Hollande et Nicolas Sarkozy, sourires complices et pareillement vêtus, se serrant la main comme de vieux copains. La première photo était de 1999, la seconde de 2007, d’où une impression de copinage durable. Toujours sur le plan de l’image, j’ai été franchement choqué par la couverture du numéro, où l’on voit la bouille ahurie d’un François Hollande interprétant le rôle de l’idiot du village. Je ne vous accuse pas d’avoir retouché la photo, elle existe probablement sous cette forme. Mais je ne comprends pas pourquoi vous avez pris la décision de l’avoir présentée en couverture. À se demander si vous n’avez pas décidé de déconsidérer le Parti socialiste en ridiculisant son Premier secrétaire, à une époque où l’image est, hélas, une arme politique redoutable.
Ce n’est pas un chauvinisme partisan qui m’a poussé à vous écrire ni le culte de la personnalité. Mais je pense qu’il existe au sein des responsables politiques du PS, et aussi au niveau des militants, beaucoup de camarades qui font preuve de lucidité et, souvent, de courage. Ils peuvent encore jouer un rôle positif. Et je me permets quand même de rappeler que le PS est la seule formation politique qui pourrait faire pencher la balance du bon côté lors de la réunion du Parlement en Congrès. Il est vrai que ce n’est pas gagné, mais contribuer à déstabiliser aujourd’hui le Parti socialiste, c’est tirer une balle dans le pied de la gauche.
Francis Campos
Qui tire une balle dans le pied de la gauche~? Ceux qui ont décidé de s’abstenir à Versailles pour imposer le traité sans référendum ou ceux (nous) qui dénoncent cette attitude hypocrite~? Quant à la photo de une, elle illustrait si bien notre titre que nous n’avons pas su y résister…
D. S.
Secouez-vous !
Ce n’est pas un inventaire à la Prévert, plutôt un regard consterné, après huit mois de sarkozysme : 35 heures, retraite, santé, immigration, justice, traité européen… Le rouleau-compresseur ultraconservateur (hélas prévisible) débouche sur une généralisation de la précarité, avec son cortège habituel d’appauvrissement, de contraintes psychologiques, de dépossession de soi. Fil conducteur des lois intangibles de la marchandisation et des chaînes qu’elle trimballe derrière sa vitrine dorée, la « révolution » néoconservatrice (orchestrée par le bateleur de l’Élysée, talentueux dans sa manipulation de l’image et du langage) conduit insidieusement, mais inexorablement, à un démembrement de la démocratie. À qui la faute ? Les médias, les quotidiens (la plupart aux mains des amis du Président) nous abreuvent des passes de muleta (pour masquer les consciences) dans la mise à mort du fameux modèle social français, dessein proclamé de la droite ultraconservatrice avide de revanche, après plus de soixante-dix ans d’un dialogue vécu en coulisses comme une intolérable contrainte. Vers qui se tourner alors […] ? La gauche ? Mais où est-elle, que fait-elle par ce gros temps ? Certains, teintés de rose, sont allés, sans état d’âme, à Casanova pour un maroquin, quand d’autres se perdaient en de vaines querelles ou prenaient définitivement le pas du libéralisme (à New York ou ailleurs), incontournable selon eux. À oublier, à renier son héritage, la gauche a précipité beaucoup de Français et même une partie de son camp dans les bras du bateleur, et si la plupart assistent impuissants à leur infortune, la faute en incombe d’abord à cette gauche. Que faire alors ? Attendre calfeutré jusqu’à l’horizon 2012, quitte à subir le coup final, ou se rassembler ? Établir les bases de la reconstruction nécessaire après cinq ans de séisme ? La donne en 2007 était dans les mains de la gauche, mais des intérêts personnels ou l’enfermement de certains partis dans un sectarisme dépassé ont jeté dans un cul de basse-fosse les idées qui, hier, guidaient le camp de l’espoir. Pourtant, nous avions un terreau propice avec le programme pour un rassemblement antilibéral, fruit du travail des collectifs unitaires. Un formidable élan pouvait naître de ces propositions pour sortir d’un système où « la concentration des pouvoirs et de la richesse entre les mains de quelques-uns, au détriment du bien-être et de la citoyenneté du plus grand nombre, ne fournit pas les bases acceptables pour vivre ensemble » . Huit mois de sarkozysme ont confirmé ce constat. On précisait aussi [dans les collectifs] que l’espoir est un combat : « Luttons, contestons et bâtissons ensemble, à tout moment et partout. » Je pose donc la question : que faites-vous, François, Jean-Luc, Marie-George, Olivier, Laurent et les autres ? La France est à un tournant, et vous porterez à jamais la responsabilité d’un nouvel et définitif échec si vous ne vous secouez pas. Et imaginons, en ces jours où nous célébrons le centième anniversaire de sa naissance, ce qu’en aurait dit Simone de Beauvoir, l’infatigable combattante : « On ne naît pas citoyenne (et citoyen), on le devient. » Si notre avenir est, plus que jamais, entre nos mains, François, Jean-Luc, Marie-George, Olivier, Laurent et les autres, il vous faut donner l’impulsion pour mobiliser les énergies et tracer la voie d’une République nouvelle et d’une démocratie enfin partagée.
Alain Kinck, Tourcoing (Nord)
Au-delà de la sécurité
Sans présager de ses résultats, la décision du retour de la police de proximité nous invite à tirer une leçon qui dépasse la seule question de la sécurité. Dans sa thèse sur les Usagers des services publics industriels et commerciaux (1933), Pierre Laroque indiquait que l’objet du service public n’est pas la prestation mais la personne. Ainsi, le service public de la santé, ce ne sont pas les soins, mais la guérison, la prévention… Bref, permettre de vivre en bonne santé. De même, le service public de l’éducation ne peut être réduit à l’enseignement, mais doit assurer la formation et le développement des êtres humains. De ce fait, « l’investigation, l’interpellation, la lutte contre la délinquance » du ministre de l’Intérieur de 2003 ne peuvent être l’objectif du service public de la police ; ils sont, tout au plus, des outils parmi d’autres (prévention, lien social…) qui visent à assurer le droit à la sécurité de chaque personne. […]
Ce qui est vrai pour la police l’est aussi pour tous les services publics. La réalité est tenace. Elle contraint aujourd’hui à reconnaître, en ce qui concerne la sécurité, l’échec de la conception libérale. Demain, ce sera au tour de la santé, de l’éducation, etc. Alors, pour ne pas courir d’échec en échec, inversons sans tarder le cap. Cela demande une profonde rénovation des services publics actuels. Il convient de revenir aux fondements de ceux-ci : […] outils de « l’interdépendance sociale » et de protection des individus contre le pouvoir exorbitant des gouvernements (Léon Duguit), des services dont la mission est in fine la personne (Pierre Laroque). La tâche est rude, car des dizaines d’années des services publics nous ont installés dans une culture du résultat immédiat, quantifié, d’acceptation d’une gestion étatique unilatérale. Une mise en cause de l’économie, de la gestion, une interrogation des sciences sociales, une refondation de la démocratie s’avèrent nécessaires pour redonner sens aux services publics. Pour ce travail, l’apport de ceux qui subissent les dégâts causés par des services qui n’en sont plus ou ne le sont que partiellement est décisif, pour indiquer les voies à suivre et montrer les mobilisations à mener. Le démantèlement actuel des services publics nous y pousse.
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E. Orban
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