D’une seule voix

L’art de la reprise, inhérent au rock depuis toujours, a fini par être délaissé avec le temps. Depuis les années 1990, rares sont les jeunes groupes qui s’y adonnent, ce qui en dit souvent long sur l’étendue de leur culture dans ce domaine et les motivations qui les ont poussés à jouer dans un groupe plutôt que de fonder une entreprise informatique, voire leur capacité à jouer d’autres compositions que les leurs.

Parallèlement, des artistes confirmés y consacrent de temps en temps des albums entiers. Parmi les sorties récentes, nous laisserons de côté Bryan Ferry, qui nous a habitués à cela depuis 1973, et citerons simplement Patti Smith, Jeffrey Lewis, à qui l’on attribuera la palme de l’originalité avec son disque de reprises de Crass, et celle qui nous occupe aujourd’hui, Cat Power, qui récidive huit ans après The Covers Record . Mais Juke-Box est loin de ces versions neurasthéniques et plombées de Bowie ou des Stones.

De Frank Sinatra et Billie Holliday à Nick Cave, en passant par Janis Joplin et Bob Dylan, c’est aussi un voyage dans le temps. Un temps suspendu aux lèvres et à la voix de la chanteuse, secondée par un groupe absolument impeccable qui sonne comme s’il accompagnait habituellement Ryan Adams et s’échauffait les doigts en revisitant les riffs des Stones de la fin des années 1960, mais le fait d’une manière étouffée, ralentie, presque en lévitation. Une façon de laisser de l’espace à la chanteuse, qui réinvente ces chansons comme elle semble s’être elle-même réinventée ces derniers temps, et s’être débarrassée des fantômes qui la rendaient si fragile et fantasque. Sur scène, la voici presque exubérante, et, surtout, sa voix, qui garde son caractère voilé et fêlé, a acquis une présence si intense qu’elle accapare totalement l’auditeur. Malgré son titre, Juke-Box ne s’écoute pas comme une suite hétéroclite de chansons mais bien comme le disque d’une seule voix, celle d’une personnalité exceptionnelle.</>