Épargnez le Livret A !
Le gouvernement prépare une réforme de l’épargne populaire qui aura des conséquences importantes sur le logement social et l’accès aux banques des plus démunis. Il s’appuie sur un rapport contesté par les syndicats.
dans l’hebdo N° 984 Acheter ce numéro
Faire main basse sur le Livret A, cette épargne populaire qui atteint 116 milliards d’euros d’encours… Les banques en rêvaient, l’Élysée et Matignon ont décidé d’exaucer ce voeu. Il se prépare une libéralisation de la distribution du Livret A (pour l’instant limitée à la Banque postale et aux Caisses d’épargne) et du Livret bleu (du Crédit Mutuel), ainsi que des circuits de financement du logement social. La remise du rapport de Michel Camdessus, missionné par le gouvernement pour définir les modalités de cette libéralisation, a été l’occasion, pour François Fillon, d’annoncer cette réforme le 17 décembre. Elle sera inscrite dans la future loi de modernisation de l’économie. L’intention est de voter la loi « en mai ou en juin » , a déclaré le Premier ministre, pour l’appliquer « à l’automne ou au 1er janvier »
2009.
Le statut du Livret A, qui autorise un accès bancaire aux plus démunis, est menacé. DANIAU/AFP
La réforme préconisée par la mission Camdessus est ressentie comme un coup de tonnerre par un grand nombre d’organisations syndicales, d’associations et d’élus. Le rapport s’attaque en effet au Livret A, jugé « trop cher », et au rôle de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), qui centralise l’épargne investie sur les livrets, estimant que le système actuel « n’est plus à la hauteur des problèmes » . Les arguments développés accordent une grande confiance au système bancaire privé, et l’accès des plus modestes aux services bancaires y est quasiment ignoré, comme l’expliquent deux des organisations engagées dans une campagne nationale contre cette libéralisation du Livret A [^2] .
«~Un système public d’épargne populaire économiquement performant et utile~»
Jean-Philippe Gasparotto,
secrétaire général de la CGT Caisse des dépôts :
En choisissant d’ouvrir la distribution du Livret A à l’ensemble des banques privées européennes, comme le réclame une décision très contestable de la Commission européenne, le gouvernement français prend le risque de saper les bases du dernier système financier public et de remettre en cause ses deux missions essentielles.
La première concerne la sécurisation de l’épargne populaire défiscalisée, grâce à sa collecte par des réseaux semi-publics spécialisés dont c’est la vocation (La Poste et les Caisses d’épargne), et sa centralisation à la CDC. Cette dernière, institution financière publique bicentenaire, est placée sous le contrôle du Parlement et donc protégée à la fois de la cupidité des marchés et de l’avidité du pouvoir exécutif, toujours enclin à « annexer » des suppléments de recettes pour combler ses fins de mois difficiles. En près de deux cents ans d’existence, le système Livret A a fait ses preuves : jamais les épargnants, dont il faut rappeler qu’ils sont près de 46 millions, n’ont été spoliés, y compris lors des périodes les plus agitées et troubles de l’histoire. C’est la reconnaissance de cette solidité qui fait que l’encours de l’épargne sur Livret A représente encore aujourd’hui près de 120 milliards d’euros, soit une masse globale légèrement supérieure à celle investie par les ménages sur les marchés de valeurs mobilières. C’est sans doute ce qui chagrine nos « réformateurs » ultralibéraux, qui ont du mal à avaler qu’un système public d’épargne populaire puisse s’avérer, dans la durée, économiquement performant et utile !
La seconde mission du Livret A, c’est de permettre, par un mécanisme vertueux de transformation de cette masse d’épargne liquide en prêts bonifiés de long terme, le financement d’ouvrages d’intérêt général, et principalement du logement social. Ce dispositif géré par la CDC a permis le financement de 80 % du patrimoine actuel et de 4,3 millions de logements sociaux HLM. Fin 2006, l’encours des prêts au logement social mobilisant les fonds d’épargne populaire gérés par la CDC représentait plus de 90 milliards d’euros, et le lancement de la construction de 60 000 logements supplémentaires.
Les préconisations du rapport Camdessus vont bien au-delà de la demande de Bruxelles de banaliser la distribution du Livret A. Elles mentionnent le recours accru aux marchés financiers pour financer le logement social, et ainsi compenser le tarissement de la ressource Livret A (les banques privées distributrices orienteront probablement l’épargne collectée vers des produits financiers plus spéculatifs). Il est quand même paradoxal de faire cette proposition à un moment où le système financier mondial est déstabilisé par une crise engendrée précisément par la défaillance des produits de crédits immobiliers spéculatifs américains, les subprimes .
« Les réalités de l’exclusion bancaire ne sont pas prises en compte »
Nicolas Galepides,
administrateur salarié pour SUD-PTT du groupe La Poste~:
La mission Camdessus sur la « modernisation de la distribution du Livret A » traite la question de l’accessibilité bancaire sans tenir compte des réalités de l’exclusion bancaire. Le rapport préconise un recours accru au droit au compte, avançant qu’il « devrait » répondre aux besoins des clientèles défavorisées. Douze mesures sont prévues, dont l’ouverture, la tenue et la clôture du compte, l’émission de deux chèques de banque par an, et une carte de paiement à autorisation. Exercer son droit au compte relève du parcours du combattant, même après la loi de 2006. Seules 30 500 personnes ont exercé ce droit en 2005, ce qui reste très faible par rapport à une population d’exclus bancaires oscillant entre 500 000 (chiffres de Bercy) et 4 millions (pour les associations de consommateurs).
Bien que le droit au compte reste la seule solution pour les clientèles en difficulté, c’est surtout la gamme de paiements alternatifs qui est mise en avant, payante, bien sûr, à l’image de la convention Adispo de La Poste, pour près de 40 euros par an.
La mission laisse cinq ans à La Banque postale pour « faire le ménage », passer des conventions avec le maximum d’exclus du système, fermer toujours plus de bureaux, pour atteindre le seuil de « rentabilité commerciale » de 2 800 agences, tel qu’il est préconisé par le dossier d’agrément de la banque en 2005. Pour les autres, ceux qui resteront immanquablement sur le carreau de cette fuite en avant ? Pas de réponse de la mission.
Le quotidien d’un bureau de poste aurait pu édifier la mission Camdessus sur les réalités du Livret A en tant qu’outil de bancarisation. Ce sont les papiers d’identité ou ce qu’il en reste des SDF, gardés dans le tiroir du guichetier en attendant leur visite hebdomadaire. Ce sont encore les explications données à une clientèle étrangère venue domicilier son salaire ou payer la cantine des enfants à l’aide de chèques de banque gratuits. Le coût de ces missions d’accessibilité bancaire s’élève à plus de 500 millions d’euros. Une somme financée majoritairement par la commission de gestion du LivretA de 1,3 %, prélevée par La Poste. Restent à sa charge 80 millions d’euros par an, soit 10 % des plus de 800 millions net qu’a rapportés l’entreprise publique en 2007 ; c’est peu pour le seul produit d’accessibilité bancaire entièrement gratuit et servi dans près de 12 000 bureaux de poste.
[^2]: La Confédération nationale du logement, Droit au logement, l’Association nationale des élus communistes et républicains, l’Union syndicale Solidaires, la fédération CGT des finances et l’intersyndicale du secteur semi-public économique et financier ont lancé une campagne nationale : « Pas touche au Livret A ! »