Le silence des économistes

Serge Latouche  • 10 janvier 2008 abonné·es

Imagine-t-on un instant un responsable gouvernemental, ou même un leader de l’opposition, faire campagne avec le slogan : « Consommer plus pour dépenser moins ! » ? Professeurs d’économie et experts de tout poil se gausseraient devant une telle absurdité en contradiction avec la sacro-sainte loi de l’offre et de la demande. Et avec raison. Comme si notre omniprésident avait répondu : « Brûlez donc plus de fioul pour faire baisser le prix à la pompe ! » aux pêcheurs affrontant la hausse du baril de pétrole. Pourtant, c’est un slogan tout aussi blasphématoire ­ « Travailler plus pour gagner plus » ­ qui a été proféré avec succès lors de la campagne présidentielle, et qui sert encore de boussole au gouvernement sans provoquer la moindre protestation des collègues.

Car, pour les économistes comme pour le Medef, à la différence des décroissants et des gens ordinaires, le travail est une marchandise comme les autres, très comparable à tout point de vue au pétrole. En conséquence, son prix, appelé salaire, tend à baisser quand l’offre de main-d’oeuvre augmente face à la demande ; par exemple, si des travailleurs se portent volontaires pour travailler plus. En toute rigueur théorique, dans un marché caractérisé par une surabondance de la quantité d’heures de travail offert et une recherche effrénée d’emplois en nombre très insuffisant (près de 10 % de la population active est au chômage, selon des statistiques officielles manipulées et donc très en dessous de la réalité), on ne peut donc s’attendre qu’à un effondrement des cours (en clair, des salaires). En revanche, le salaire tendra à augmenter si l’offre diminue. Il y a donc quelque amélioration à espérer d’un refus massif des heures sup, et plus encore d’un abaissement de la durée du travail.

Les décroissants ne vouent qu’un respect modéré aux prétendues lois de l’économie. S’ils trouvent obscène le slogan présidentiel, c’est d’abord parce que les horaires de travail sont déjà excessifs. Ils dévorent la vie, étouffent la citoyenneté, engendrent le stress et la souffrance. Des cadres se suicident tandis que la consommation française d’antidépresseurs crève les plafonds. Absurdité additionnelle : travailler plus accélère aussi l’avènement de la catastrophe écologique, faute de changement d’orientation. C’est pourquoi notre slogan est « Travailler moins pour vivre mieux ! » . Toutefois, exceptionnellement, nous n’aurions pas de scrupule à scander « Travailler moins pour travailler tous » avec les économistes hétérodoxes, et même (avec les plus orthodoxes) « Travailler moins pour gagner plus » ! Alors, chers collègues, qu’attendez-vous pour descendre dans la rue et dénoncer les hérésies économiques du Président ?

Écologie
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