« Construire la maison commune d’une gauche populaire »
Nichi Vendola, très populaire élu de Rifondazione, est président de la Région des Pouilles depuis deux ans et demi. Il plaide pour une gauche qui centre le débat sur les questions du travail et des conditions de vie des citoyens.
dans l’hebdo N° 989 Acheter ce numéro
Peut-on dire que votre victoire aux primaires pour la candidature de gauche à la présidence de la Région des Pouilles, puis votre élection à ce poste, est l’illustration que la « course au centre » n’est pas forcément victorieuse ?
Nichi Vendola : Je crois en effet que cette course perpétuelle vers le centre, toujours très à la mode en Italie et supposée être un gage de victoire électorale puis de stabilité politique, est une totale abstraction. On voit régulièrement combien la course au centre rend opaques les différences programmatiques entre les forces politiques et la perspective d’un véritable changement. Il peut même arriver que le centre soit la cause de la chute d’un gouvernement de centre-gauche, comme cela s’est produit ici il y a quelques jours. Je crois donc que ce discours sur le centre est catastrophique si l’on veut essayer de rapprocher la politique des citoyens, notamment du monde du travail et des jeunes.
J’ai pour ma part fait la démonstration que, dans une Région importante de plus de quatre millions d’habitants, considérée depuis toujours comme un fief intouchable de la droite et auparavant gouvernée par l’un des enfants prodiges* de l’écurie Berlusconi, le fait de proposer un discours clair, fondé sur la diversité, sur ma propre identité multiple de méridional, communiste et gay, a dans un premier temps complètement désorganisé la stratégie du centre-gauche, qui cherchait à situer son candidat le plus au centre possible, avant de brouiller davantage la réalité politique régionale en place depuis des années, puisque j’ai fini par remporter l’élection !
Depuis deux ans et demi, mon exécutif régional jouit de fortes cohésions politiques, ce qu’on ne peut pas dire de bien des Régions en Italie… Je n’ai jamais été mis en minorité ni connu de démission d’assesseurs. J’ai par ailleurs de bonnes relations avec le monde de l’entreprise et avec l’Église catholique. Nous sommes pourtant l’une des seules Régions italiennes à avoir pris des mesures concrètes contre la précarité au travail (si présente dans le Sud) et la seule à avoir adopté une réforme afin que les couples gays puissent bénéficier eux aussi des services publics de la Région. Ce bilan, qui est encore loin d’être définitif, peut à mon avis être une source de propositions pour une nouvelle grande force de gauche.
Le secrétaire national de Rifondazione, Franco Giordano, a déclaré le 6 février qu’il existe désormais à gauche un vrai « défi en matière d’hégémonie » entre le Parti démocrate et La Sinistra-L’arcobaleno. Que pensez-vous de cette analyse ?
Je crois qu’elle est pertinente. Le problème n’est pas simplement de conquérir des voix et des postes de pouvoir, mais les orientations culturelles de la société. Pour que la gauche puisse l’emporter dans une société où les médias et le personnel politique ne cessent d’oublier les questions relatives au travail, les plaies que produit la précarisation du marché du travail, elle doit tout faire pour ramener le débat sur ces thèmes. Or, si elle parvient à l’emporter sans remettre en cause cet environnement culturel, c’est qu’il s’agit d’une gauche bien vague, une gauche de carte postale. Pour moi, la gauche doit parler des conditions matérielles de la vie des gens. Si nous considérons la politique uniquement comme l’organisation des droits des consommateurs, selon cette perspective néo-américaine chère à Walter Veltroni, si nous considérons l’économie et le marché comme des données naturelles, en nous limitant à garantir quelque droit supplémentaire à consommer pour tous, alors je crois qu’on a là une explication du déclin de la gauche et de sa grande difficulté à comprendre les problèmes de notre temps.
Pour le dire autrement, je crois que le réformisme n’est pas en mesure d’analyser véritablement en profondeur le problème du trou de la couche d’ozone, la violence subie par les femmes, ni pourquoi les inégalités s’accroissent au lieu de se réduire. Les réformistes en Italie ne sont pas capables d’expliquer pourquoi les salaires sont aussi bas et le nombre d’accidents au travail si élevé…
Votre réponse sur la conquête de l’hégémonie fait évidemment penser à la définition de Gramsci, figure à la fois fondatrice et aux marges du communisme italien. Que pensez-vous de l’abandon du symbole de la faucille et du marteau, remplacé aujourd’hui par l’arc-en-ciel ?
Pour moi, un communiste ne peut être un fétichiste du communisme, ni quelqu’un qui aurait des obsessions de gardien de musée. Le passé doit faire l’objet d’une analyse critique, et le communisme n’est pas un projet de répétition. J’ai pour ma part contribué au tout début des années 1990 à faire naître une réalité qui s’intitulait « Refondation communiste », et non restauration communiste. Je pense donc qu’aujourd’hui un communiste en Italie a le devoir historique de contribuer à reconstruire une grande gauche populaire, innovante, capable de penser le socialisme du XXIe siècle, en alliant les thèmes de l’égalité et de la liberté. Faire naître un sujet politique qui organise la colère, l’espérance, et qui ait une signification dans la politique et la société d’aujourd’hui.
L’Italie, qui est un pays très fragmenté, très sale, très corrompu, a besoin d’un sujet politique qui, comme le disait Pasolini à propos du PCI, soit « un pays propre dans un pays sale » . C’est-à-dire une grande force de gauche populaire, un lieu de démocratie à la base où les gens se retrouvent, une communauté qui rassemble des générations et des cultures différentes. Je pense qu’il y a beaucoup de gens qui, sans jamais avoir eu la carte du parti, ont été de vrais communistes parce qu’ils ont contesté l’ordre patriarcal, l’industrialisation à outrance, parce qu’ils ont critiqué théoriquement et pratiquement le monde dans lequel ils vivaient. C’est pourquoi il nous faut une maison qui accueille toutes les expériences, les cultures, les sensibilités de ceux qui veulent changer le monde, de ceux qui ne se résignent pas. Pas une « chose rouge » [ cosa rossa , en italien, nom souvent donné par la presse au projet de nouveau parti à gauche] mais une « maison rouge » [ casa rossa] !
La Sinistra-L’arcobaleno peut répondre à ce projet ?
Je crois que c’est un bon début. Je souhaite naturellement que ce processus ne soit pas seulement électoral, se limitant à enregistrer une alliance entre petits partis, mais un véritable processus politique qui puisse donner naissance à un nouveau Parti, avec une majuscule, non pas parce qu’il aurait son comité central et son politburo, mais pour qu’il soit une référence pour son peuple.
Seriez-vous prêt à accepter un rôle particulier en son sein ?
J’ai toujours été peu sensible au rôle des individus et davantage à celui des collectifs. La politique se meurt aujourd’hui par excès de leadership, par la spectacularistion néo-américaine. Mon rôle, parmi d’autres, sera celui de quelqu’un qui n’a pas encore cessé de rêver et qui contribuera à redonner à l’Italie une grande force de changement.