Courrier des lecteurs Politis 988
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Capitalisme prédateur
La baisse des salaires, la flexibilité, la chute du niveau des retraites, le déficit de la Sécurité sociale, la faillite des services publics, la multiplication des sans-abri, en un mot la paupérisation des travailleurs n’ont qu’une seule et même cause, le vol d’une part sans cesse accrue des richesses par les capitalistes.
Comment se fait-il donc que pratiquement tous ceux qui prennent la défense des spoliés, représentants politiques, syndicaux, médiatiques, associatifs n’en mettent jamais en exergue la cause essentielle et presque unique ?
Les faits sont précis, incontestables, accablants.
Dans un article du Monde diplomatique de ce mois, François Ruffin les résume ainsi : entre 1983 et 2006, d’après le FMI et la Commission européenne, la part des salaires dans la répartition des richesses (PIB) a chuté de 5,8 % en moyenne mondiale, de 8,6 % en Europe et de 9,3 % en France (record du monde). Ainsi, chez nous, sur 1 800 milliards d’euros de PIB, chaque année, 165 milliards supplémentaires ripent du travail vers le capital. Les appréciations optimistes, dit le même article, concèdent 16 % d’augmentation aux salaires durant les vingt-cinq dernières années. Dans la même période, la flambée du CAC 40 s’est traduite par une hausse de 470 %. Tous les autres arguments d’un avocat de la gauche dans une confrontation deviennent seconds et presque secondaires. Qui peut encore, par exemple, discuter sérieusement des quelques dizaines de millions d’euros en cause dans les régimes spéciaux de retraite ? Qui peut, s’il utilise cet argument, être assez mauvais pour ne pas inverser le poids de la culpabilité, tel que le présentent les émissaires du gouvernement ?
Le grand théoricien du capitalisme prédateur Alan Greenspan a d’ailleurs conscience que le pire pour ses amis soit à envisager: « Ce découplage entre faibles progressions salariales [^2] et profits historiques des entreprises fait craindre une montée du ressentiment aux États-Unis comme ailleurs, contre le capitalisme. »
On peut, bien sûr, réfléchir et discuter ensuite du meilleur chemin à suivre pour remettre le capital à sa vraie place, s’il en a une, celle de financer prioritairement l’investissement national au lieu de s’envoler des entreprises en intérêts et dividendes; discuter de la meilleure façon pour la collectivité de le récupérer par la fiscalité ou le prélèvement à la source; discuter du degré d’autonomie dont disposent pour ce faire les pays ou une communauté dans un monde au départ libéral. Mais tout ceci n’aboutira que si l’opinion publique n’hésite plus dans l’identification des coupables.
Qui, en France, va pouvoir prendre la tête de cette croisade, qui donc orchestrera la focalisation des critiques anticapitalistes sur cette prédation ?
Émile Berger, Chaunay (Vienne)
**Pour diffuser *Politis
Je souhaite partager avec vous ma façon personnelle de militer pour Politis . J’applique la technique du Petit Poucet : après l’avoir lu, je le laisse mon exemplaire de Politis à disposition, un jour d’affluence, dans les lieux fréquentés par un public nombreux et mélangé, pas forcément militant (médiathèque, cabinet de radiologie, de médecin ou de dentiste). Je fais de même pour d’autres journaux passionnants mais ne disposant pas d’une large diffusion, comme l’Âge de faire, le Sarkophage et la Décroissance . Autant de graines de différence portées par le vent de la découverte.
Françoise Tlemsamani, La Rochelle (Charente-Maritime)
Chronique d’une sous-France ordinaire
Cela s’est passé un jeudi soir du mois de janvier, au moment de la distribution du repas du soir par les bénévoles de l’association Salam [association de soutien aux migrants dans le Nord-Pas-de-Calais].
Plusieurs fourgonnettes de CRS pourchassaient les migrants, jusqu’à quelques centaines de mètres à peine du point de distribution du repas. Étrangement, il y avait un peu moins de migrants que d’habitude. Plusieurs bénévoles se sont alors rendus jusqu’à la « jungle », où de nombreux migrants sont venus leur expliquer qu’un ballet de véhicules de CRS leur barrait la route qui mène de la « jungle » jusqu’au lieu de distribution du repas. Beaucoup d’entre eux ont même ajouté que les policiers leur disaient « go home » et « no food » en les rabattant vers la « jungle ». Assisterait-on à une nouvelle forme de persécution qui consisterait à interdire l’accès aux lieux des repas ? Ou, dans la perspective des municipales, deviendrait-il urgent d’interdire l’accès des migrants au centre-ville, façon d’éluder un problème que trop peu de formations politiques osent aborder ?
Les équipes bénévoles de Salam continuent à apporter leur soutien à la centaine de migrants présents à Loon-Plage, en étroite coopération avec d’autres associations comme le Mrap, Emmaüs et d’autres structures du Carrefour des solidarités. Par ailleurs, Salam fournit à Médecins du monde une camionnette qui permet d’effectuer des consultations médicales.
Signalons que de nombreuses tentes ont été distribuées et permettent aux migrants de disposer d’un minimum d’abri. Lors de la rencontre du 5 décembre dernier avec M. Borius, sous-préfet de l’arrondissement de Dunkerque, celui-ci s’est engagé à ce qu’aucun abri ne soit détruit pendant toute la période hivernale.
S. Misser, Bailleul (Nord)
Lettre ouverte à M. Nicolas Sarkozy,
chanoine honoraire de Saint-Jean-de-Latran, accessoirement président de la République française
Si je m’adresse à vous en ces termes, c’est parce que vos récents discours au Vatican et à Ryad m’ont paru davantage ceux d’un chanoine que ceux d’un président de la République française, et que je ne me suis jamais sentie aussi insultée ni méprisée. Le discours en France devant les représentants religieux n’effaçant rien de ce qui a été dit. Vous avez beau répéter que vous êtes le « président de tous les Français » , vous ne l’êtes pas, et votre comportement, dans tous les domaines, le prouve chaque jour. En allant recevoir votre titre au palais du Latran, vous avez montré tout votre dédain pour les 31 % de citoyens qui s’affirment sans religion dans notre pays. Vos prédécesseurs avaient, au moins globalement, le respect des citoyens dans leur diversité et ne leur imposaient pas de façon aussi péremptoire leurs croyances personnelles, même si leur présence ès qualités, à des cérémonies religieuses, était parfois de trop pour les athées. Mais là, vous dépassez les bornes acceptables. Tolérance, dites-vous ? Non ! Ostracisme manifeste à l’égard de ceux qui ne partagent pas votre croyance en Dieu, et en matière de sectarisme vous montrez, là, un bel exemple. D’ailleurs, qu’est-ce que la tolérance ? La mienne, monsieur, s’arrête à l’intolérable, et il est des paroles ou des actes que je ne peux tolérer. Tolérante, je le suis, puisque je suis abonnée depuis des années à la revue Golias , dont les références chrétiennes sont évidentes ; je viens d’héberger gratuitement un jeune étudiant marocain, à la recherche d’un logement, qui pratiquait le ramadan lors de son séjour à la maison ; j’ai des amis très estimables qui sont croyants et d’autres qui sont athées. Je pense donc n’avoir aucune leçon de tolérance à recevoir. C’est vous qui êtes parfaitement intolérant, sans « respect » ni « civilité », en ne me reconnaissant pas un droit fondamental, qui est celui de ne pas croire, et en me refusant une autre philosophie de vie que la vôtre. Mes grands-parents paternels n’avaient pas la même religion, et c’est justement par respect mutuel qu’ils n’ont imposé aucune des deux à leurs enfants. Quant à ma grand-mère maternelle, je pense que la religion n’avait plus de sens pour elle après la mort de mon grand-père à l’âge de 28 ans, devant Verdun, la laissant seule avec deux enfants de 2 et 4 ans. Vous mettez en doute l’efficacité d’une morale laïque et la blâmez, alors que la laïcité est un principe constitutionnel. Alors permettez-moi quelques critiques sur la morale religieuse que vous entendez nous imposer. La morale laïque me semble beaucoup plus exigeante que celle qui permet, après avoir commis un « péché », de s’en laver par une pénitence, en se repentant. L’éducation que j’ai reçue de mes parents libres-penseurs athées m’a appris à réfléchir à mes actes avant d’agir afin de ne pas nuire à autrui. Syndicalistes, coopérateurs, mutualistes, ils mettaient l’homme au centre des préoccupations et non un Dieu hypothétique inventé par des hommes pour mieux en asservir d’autres. Issus de milieux modestes, ils devaient leur réussite à l’école républicaine et à sa morale laïque, qui leur avait enseigné ce premier article de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 si combattue par le clergé : « Les hommes naissent libres et demeurent libres et égaux en droits ; les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune » ; et ils ne se sont pas enrichis au détriment de la collectivité. Pas plus que moi ils n’avaient besoin de l’idée de Dieu pour « trouver un sens à l’existence ». Ils pratiquaient la solidarité, plus noble que la charité, qui n’est valorisante que pour celui qui donne, mais humiliante pour celui qui reçoit. Luttant pour l’émancipation et non l’asservissement de l’être humain à un dogme quelconque, ils n’ont pas accepté le « travail, famille, patrie » des collaborateurs de Vichy soutenus par l’Église de France. Ne se résignant pas au pire, restant fidèles à la devise républicaine « liberté, égalité, fraternité » indissociablement liée à la laïcité, pour que chacun, quelles que soient ses convictions religieuses ou qu’il n’en ait pas, vive en harmonie avec son voisin, ils se sont engagés dans la Résistance, parmi ces « terroristes » qui ne s’occupaient pas de la religion ou de l’athéisme de leur voisin, car il était alors normal de considérer la croyance comme relevant du domaine privé et que tous étaient égaux face au risque et au danger. […]
Colette Dutertre, Niort (Deux-Sèvres)
[^2]: Qu’en termes plaisants ces choses-là sont dites !