Guerre civile froide

La tension reste extrême à Beyrouth, trois semaines
après la répression sanglante contre une manifestation
sociale dans la banlieue sud.

Nicolas Dot-Pouillard  • 21 février 2008 abonné·es

Les deux grands rassemblements du 14 février, l’un pour l’anniversaire de l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, l’autre à l’appel du Hezbollah pour rendre hommage à l’un de ses chefs militaires, Imad Moughnieh, assassiné la veille à Damas, n’ont donné lieu à aucun incident. Mais la tension reste extrême à Beyrouth, trois semaines après les événements du «~dimanche noir~» 27 janvier (neuf morts et plus d’une cinquantaine de blessés, pour la plupart des jeunes chiites). «~Les manifestations contre les coupures, il y en a depuis le mois de juillet. À Beyrouth, il y a en moyenne trois heures de coupure par jour. À Dahiyye ­dans la banlieue sud­, c’est douze heures, sinon plus. Le gouvernement traite les gens d’ici comme des chiens, il ne nous a pas indemnisés pour la guerre de 2006, et il nous accuse de voler l’électricité du Liban, un comble ~ » , commente Jocelyne, une Française habitant dans le quartier de Ghoubeyri. Muhammad, son mari, poursuit~: « ~ Le gouvernement tente de monter l’armée contre le Hezbollah. C’était la fonction de ce massacre, ils attendaient que le Hezbollah et les chiites répondent par les armes aux provocations. Les militaires ont tiré pour tuer, même pas forcément sur les manifestants~: un jeune qui sortait du restaurant où il travaille s’est fait faucher. Mais le Hezbollah et ses alliés ont compris qu’on essaye de les pousser au conflit interne~: c’est pourquoi le Hezbollah a tout fait, le soir même, pour calmer la foule .~ »

La tuerie s’est déroulée autour de l’église Mar al Muchael, sur une ancienne ligne de démarcation de la guerre civile, entre les quartiers chiites de Chiah et chrétiens de Ayn al Remmaneh. La psychose était palpable les jours suivants~: rues désertes, magasins fermés et le sentiment d’un retour en arrière de trente ans. C’est à Ayn al Remmaneh que la guerre civile de 1975 a commencé, avec le mitraillage d’un bus palestinien par des miliciens chrétiens des Phalanges libanaises. Le contexte a cependant changé~: une partie de la communauté chrétienne est désormais derrière le Hezbollah, avec l’alliance contractée en février 2006 entre le Courant patriotique libre du général Michel Aoun et la formation chiite. Une semaine après la tuerie, une messe symbolique réunissait ainsi les dirigeants du Hezbollah et ceux du CPL dans l’enceinte de l’église Mar al Muchael, en signe d’unité confessionnelle. Beaucoup craignent plutôt des combats entre sunnites et chiites~: la communauté sunnite est en effet majoritairement regroupée autour du Courant du futur du député Saad Hariri, fils de Rafic, dont l’orientation pro-américaine est affichée. Les rues de Beyrouth, la nuit, rendent compte de cet état de guerre civile froide. Les quartiers de Mar Elias, Selim Salam, Fakhani, composés de chiites, de sunnites et de druzes, sont parcourus la nuit par des bandes de jeunes qui surveillent leur quartier. « ~ Ils sont tous armés, de mitrailleuses, de pistolets ou d’armes blanches. À cela, s’ajoutent les types, dans certains appartements, qui surveillent les rues et sont surarmés. Je ne sors plus la nuit, j’ai peur~» , avoue Khalil, un architecte vivant à Hamra, au centre de Beyrouth.

Le Hezbollah refuse toute négociation avec le gouvernement sur la question de la présidence vacante tant que l’enquête sur le massacre du 27~janvier n’aura pas désigné les coupables. Car c’est bien l’armée qui est responsable. Les images prises par les journalistes montrent les soldats en train de tirer sur une foule dont l’acte le plus violent consistait à brûler des pneus et à bloquer les routes. Pour nombre d’analystes politiques proches de l’opposition anti-américaine, le dimanche noir avait une triple fonction~: monter le Hezbollah contre l’armée, isoler le général chrétien Michel Aoun en provoquant une psychose dans la rue chrétienne, et enfin bloquer définitivement le Hezbollah et l’opposition sur les revendications sociales. Si le Hezbollah a recours à la rue, il prend le risque de débordement sécuritaire~; s’il ne le fait pas, il ne satisfait pas sa base sociale, en proie au chômage, à l’inflation, aux coupures d’électricité et à la hausse des produits de première nécessité, comme l’essence ou le pain.

Les événements du 27 janvier constituent donc bien un tournant politique~: celui qui voit l’armée devenir un enjeu dans la bataille opposant le gouvernement pro-américain de Fouad Siniora et l’opposition emmenée par le Hezbollah et ses alliés. « ~ Il semble en effet qu’avec l’échec de l’armée israélienne pour désarmer le Hezbollah, il s’agissait désormais pour certains de faire de l’armée libanaise la force militaire qui va se mesurer au Hezbollah~», analyse ainsi Scarlett Haddad, proche de l’opposition et journaliste au quotidien l’Orient le jour . Deux semaines après le massacre, une atmosphère de milicisation se fait sentir, en attendant le prochain débordement.

Monde
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