« Il n’y a pas de politique industrielle »

En dépit des discours du gouvernement, la vague de désindustrialisation se poursuit, comme en témoignent les situations d’Airbus, ArcelorMittal, Kléber, Miko ou Ford. L’analyse de l’économiste El Mouhoub Mouhoud*.

Thierry Brun  • 28 février 2008 abonné·es

Une forte désindustrialisation est engagée depuis plusieurs années, et la recherche accrue de rentabilité exacerbe cette situation aux conséquences désastreuses pour l’emploi. L’intervention de l’État est-elle possible?

El Mouhoub Mouhoud : Le vrai problème des politiques publiques est qu’elles interviennent une fois que le choc a eu lieu. Dans un travail sur les bassins d’emploi en France, on a constaté que les interventions se font après coup, par exemple les processus de reclassement des salariés ou d’aides aux entreprises en difficulté, avec des exonérations fiscales et des reprises d’entreprises. C’est inefficace. On sait quels sont les territoires et les bassins les plus vulnérables, ce qu’ils risquent de subir dans les trois à cinq années à venir. Or, l’intervention publique ne prépare pas les territoires à la compétitivité internationale. Elle renforce leur fragilité par des aides à des firmes parfois peu soucieuses de l’intérêt général.

Illustration - « Il n’y a pas de politique industrielle »


Des ouvriers de l’usine Kléber, de Tours, bloquent l’entrée du site que Michelin veut fermer en 2009. VERHAEGEN/AFP

Certaines entreprises sont peu dépendantes des territoires, elles partent et reviennent aisément. Dans le cas d’ArcelorMittal, Nicolas Sarkozy a fait l’annonce d’une intervention de l’État, mais nous savons que le groupe est davantage attaché à sa rationalisation face à l’évolution des marchés. Des gains financiers entrent en ligne de compte dans les décisions d’abandon de certaines productions. Pour certains groupes, il est plus rentable d’éliminer des usines. Pourtant, ce ne sont pas les bénéfices qui manquent pour les financer.

Par ailleurs, les entreprises ne délocalisent pas forcément pour des motifs défensifs. Certaines ont des comportements de marge. Elles délocalisent la production dans les pays à bas salaires, réimportent le produit final, puis le vendent comme si elles l’avaient fabriqué en France. Ce qui empêche les compensations de destructions d’emplois attendues théoriquement.

Les déclarations politiques invoquent une fatalité ou des promesses très protectionnistes…

Les annonces actuelles ont un usage politique à court terme. Il y a une instrumentalisation, parce qu’il n’y a pas de politique industrielle. On a un plan de substitution de l’aide de l’État à ce qui pourrait être le produit de l’entreprise elle-même. Rien n’est fait en direction des territoires les plus fragiles, c’est-à-dire ceux qui abritent des activités vulnérables, parce que soumises à la compétition des pays à bas salaires, requérant une part de main-d’oeuvre non qualifiée plus élevée que la moyenne nationale. On savait pourtant ce que deviendrait, par exemple, l’industrie du textile avec le démantèlement de l’accord multifibres. Ce que je dénonce, c’est l’illusion qui conduit à une union nationale autour de ce discours : « Il faut sauver l’industrie en France, et donc donner plus d’argent aux entreprises » , alors qu’il y a des solutions plus efficaces pour renforcer l’industrie.

Est-ce que ce gouvernement se donne les moyens d’un changement?

Il n’y a aucune cohérence. L’État paie beaucoup pour la recherche et le développement des entreprises. Mais prenons le cas des pôles de compétitivité, qui constituaient une solution. On avait proposé de clarifier les objectifs pour que des régions françaises maintiennent leur poids dans la compétition mondiale. Cela nécessitait au maximum dix pôles. On en a finalement créé 67, en mélangeant les objectifs de compétition technologique, de solidification des territoires et de création d’emploi. Il faut y ajouter la création de l’Agence industrielle de l’innovation, tournée vers le financement de la recherche et du développement. En clair, ce sont les groupes internationalisés, sans lien avec les stratégies industrielles et d’emploi, qui en bénéficient.

Si les États sont démunis, c’est parce que les pratiques protectionnistes ne peuvent plus être utilisées pour des raisons institutionnelles. Les produits importés ou exportés contiennent des composants fabriqués sur le sol français. Il n’y a plus de produits purement nationaux. Il faudrait remettre en cause la manière dont la politique européenne est menée. Il faut aussi revoir le taux de change de l’euro et transférer une politique commerciale visant des produits vers une politique tournée vers les facteurs de production : la recherche, le développement, la qualification, les hommes, etc.

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