Le réalisme des salauds

Serge Latouche  • 28 février 2008 abonné·es

Dans le petit village des Pyrénées où, depuis quarante ans, je me retire une partie de l’année, je surprends un voisin aspergeant copieusement un parterre à la sulfateuse. « Qu’est-ce que vous mettez-là ? , lui demandai-je, préparé au pire, le RoundUp de Monsanto [favori des jardiniers amateurs] ? » « Non, me répond-il, c’est l’herbicide qu’on vend à Prades pour détruire les mauvaises herbes. » On pourrait interroger le concept de « mauvaises herbes », issu d’une vision spécifiquement occidentale de la maîtrise de la nature, mais pour l’heure, il faut parer au plus pressé : « Vous savez que ça contient toutes sortes de saletés dangereuses pour vous et pour l’environnement ? » « Oh ! De toute façon, avec tous les produits toxiques qui se baladent, c’est foutu, ça ne va pas changer grand-chose. Pourquoi s’embêter ? » Inutile d’expliquer à ce consommateur passif que si l’on tient absolument à désherber, il existe des moyens mécaniques ou thermiques, parfaitement efficaces et qui, à la différence de polluants organiques persistants, cancérigènes et reprotoxiques produits et diffusés allègrement par Bayer, Syngenta, BASF, n’engendrent aucune nuisance.

C’est sans doute en pensant à ce renoncement à la résistance, à cet abandon à la pente de la facilité qu’on retrouve, à tous les niveaux de la société, jusqu’au technocrate conseiller du Prince (de droite comme de gauche), que Georges Bernanos disait que le réalisme est la bonne conscience des salauds. Le réalisme, en effet, c’est d’abord accepter le monde tel qu’il est, se satisfaire d’une situation désastreuse et s’y résigner sous prétexte que les forces dominantes ne dessinent pas d’autre futur que le prolongement des tendances actuelles. Selon la belle expression de Michel Dias, ces réalistes préfèrent « une issue fatale mais certaine, plutôt que l’incertitude d’un devenir rendu à l’initiative humaine [^2] » .

Lorsque les objecteurs de croissance sont traités d’utopistes, c’est bien par opposition à ce réalisme-là. Nous sommes effectivement à contre-courant. Nous refusons de nous soumettre au diktat de la situation, à la tyrannie du Tina (there is no alternative) qui réduit l’être à l’étant. L’utopie positive dont nous nous réclamons rejette ce refus des autres mondes possibles. En revanche, nous accuser d’être des chasseurs de chimères est tout à fait injuste. On sait maintenant que la généralisation du développement est impossible. C’est donc au contraire cet abandon à la logique suicidaire de la société de croissance et de l’occidentalisation qui est « l’utopie » au sens négatif du terme. Cette attitude réaliste des « salauds » manifeste cet étrange désir de catastrophes qui hante inconsciemment l’Occident et dont Jacques Attali, auteur à la fois d’ Une brève histoire de l’avenir et du rapport sur les propositions pour « libérer la croissance » , représente la figure caricaturale.

[^2]: L’Illusion technologique, Michel Dias, Entropia n°3, automne 2007, p.36.

Écologie
Temps de lecture : 2 minutes

Pour aller plus loin…

Algues vertes : un combat sans fin 
Environnement 26 mars 2025 abonné·es

Algues vertes : un combat sans fin 

La justice a de nouveau condamné l’État pour son inaction dans la lutte contre les algues vertes, tandis que les autorités ont confirmé pour la première fois le lien entre la mort d’un sanglier et le gaz toxique qui émane des « laitues de mer ». Pourtant, la quête de vérité et de transparence dans ce scandale sanitaire reste un parcours du combattant pour les militant·es et les proches des victimes.
Par Vanina Delmas
Sur l’île d’El Hierro, le savant qui récolte l’eau des nuages
Reportage 19 mars 2025 abonné·es

Sur l’île d’El Hierro, le savant qui récolte l’eau des nuages

Sur l’île d’El Hierro, aux larges des Canaries espagnoles, en proie à une pénurie d’eau, un biologiste polonais tente de produire des fruits sans apport d’eau autres que la pluie et le brouillard, en se fondant sur la recherche scientifique.
Par Augustin Campos
Adaptation climatique : « La France n’est pas prête »
Entretien 13 mars 2025 abonné·es

Adaptation climatique : « La France n’est pas prête »

Quentin Ghesquière, ex-responsable de campagne et de plaidoyer Adaptation, alimentation et agriculture d’Oxfam France livre son avis sur le 3e plan d’adaptation au changement climatique tout juste dévoilé, jugé très insuffisant.
Par Vanina Delmas
Dans le Finistère, des maisons rachetées pour être détruites et éviter le risque de submersion marine
Reportage 13 mars 2025 abonné·es

Dans le Finistère, des maisons rachetées pour être détruites et éviter le risque de submersion marine

C’est une première en France : la communauté de communes du Pays bigouden a décidé de racheter sept maisons situées dans la commune de Treffiagat. Le but ? Les démolir pour que la mer ne les inonde pas et préserver les autres habitations environnantes par des solutions fondées sur la nature.
Par Marie Roy