Mal-logés mal lotis

Les propositions de François Fillon en direction des sans-abri
et des mal-logés manquent d’ambition financière et politique.
À un mois des municipales, la mollesse l’emporte sur l’urgence.

Ingrid Merckx  • 7 février 2008 abonné·es

Ne plus condamner à la rue » : le message est passé. Jusqu’à Matignon, où François Fillon avait chargé, le 19 décembre, le député (UMP) Étienne Pinte d’une mission sur les sans-abri et les mal-logés. Le second devait remettre un plan d’action au premier en vue du lancement d’une politique publique ciblée. Ce qui fut fait le 29 janvier. Mais la copie du Premier ministre est très en deçà de celle de son député [^2] et, surtout, des treize engagements rendus publics par le front associatif le 7 janvier (voir Politis n° 985). Pourtant, le rapport de force avait évolué en sa faveur ces dernières semaines, qui ont vu l’interassociatif passer de 19 à 27 membres, avec, entre autres, l’arrivée du collectif Les Morts de la rue, de France Terre d’asile et du mouvement ATD Quart Monde. Presque la taille d’un syndicat. Il faut croire que cela n’a pas suffi : 250 millions d’euros au lieu des 1,5 milliard demandés.L’ensemble des associations se disent extrêmement « déçues » par le plan de François Fillon. Cette enveloppe dégagée par le Premier ministre correspond à une rallonge de 25 % des crédits pour 2008, mais pas au financement du plan ambitieux tant espéré. « On est loin du compte , constate Nicole Maestracci, présidente de la Fnars. François Fillon a dit qu’il reprenait nos axes de travail, on aurait voulu un effort budgétaire à la hauteur des enjeux. » Ne serait-ce que pour éviter au Premier ministre d’afficher une contradiction : peut-on en même temps décréter l’hébergement et l’accès au logement « chantier national prioritaire » et ne pas financer ce chantier ? « Ne pas sous-estimer la crise, ne pas dire que ce qu’on demande est irréaliste, ne pas appréhender le problème uniquement avec du palliatif mais aussi du point de vue de la prévention, c’est déjà un progrès énorme » , reconnaît Patrick Doutreligne, secrétaire général de la Fondation Abbé-Pierre. Mais que penser d’une politique qui ne se donne pas les moyens de sa mise en oeuvre ?

Illustration - Mal-logés mal lotis


Un enfant dort dehors,
rue de la Banque, à Paris, en novembre 2007, face au ministère de la Crise du logement improvisé par le DAL. SAGET/AFP

À un mois des municipales, il semble que François Fillon ait surtout pris soin de ne brusquer personne. Ni les associations (engager une politique de prévention, faire appliquer la loi sur le droit au logement opposable), ni les élus locaux, qu’une politique directive sur le logement juste avant les élections aurait pu brusquer. C’est pourtant bien sur le volet du logement que le « signal fort » attendu est le plus faible. « 100 000 logements réhabilités dans les quatre ans alors qu’on en compte aujourd’hui 600 000 insalubres : que dire aux 500 000 personnes qui vont rester en plan ? », interroge Patrick Doutreligne (Voir le rapport sur le mal-logement). Le plan Fillon vise à prévenir les expulsions locatives, objectif qui pourrait s’inscrire dans un prochain texte de loi sur l’habitat aux environs du mois de mars. « Mais rien n’indique que la majorité va reprendre cette idée , s’inquiète-t-il. Le rapport Attali, dont le Président se félicite, milite pour des expulsions rapides. » Seule concession faite par François Fillon : taper un peu plus fort sur les communes qui ne respectent pas les 20 % de logements sociaux (loi SRU). Une sévérité dont tout le monde se réjouit. « Mais on ne va pas féliciter le gouvernement de faire enfin appliquer une loi qui a huit ans ! » , s’agace Jean-Baptiste Legrand, président des Enfants de Don Quichotte . Idem pour l’objectif de construction de 20 000 logements en prêts locatifs aidés d’intégration (PLAI) du plan Fillon : ils sont déjà prévus par le projet de loi de finance et le plan de cohésion sociale. C’est du côté de la prévention et de l’hébergement que le Premier ministre aurait témoigné d’une « véritable inflexion » . Cependant, Patrick Doutreligne tempère : « Nous avions parlé d’humaniser toutes les structures et de multiplier les chambres d’hébergement à une ou deux places : les 35 millions d’euros débloqués serviront tout juste à rénover quelques centres. »

« Même les mesures qui ne nécessitaient pas d’argent mais de la volonté politique n’ont pas été mises en oeuvre » , déplore encore ce dernier. Comme le fait de décider que toute nouvelle production d’immeubles de dix logements en compte au moins deux à loyer accessible. « L’État arbitre mais ne donne pas l’impulsion qu’on attendrait d’un pouvoir public dans une situation de crise unanimement reconnue » , tranche Patrick Doutreligne.

Les 250 millions, la nomination d’un « superpréfet » chargé de coordonner « toutes les actions de lutte contre les problèmes des sans-abri » , le démarrage d’une phase de diagnostics jusqu’en juin avec Étienne Pinte comme médiateur, « c’est toujours ça de pris » , estiment les plus diplomates ou les plus rompus aux négociations. « On se fiche de nous » , grincent les plus outrés. « Cela veut dire qu’il va falloir repartir à la charge », soupire Jean-Baptiste Legrand. Mais pas facile, à vingt-sept, de décider d’un mode d’action qui convienne à tout le monde, associations gestionnaires comme forces d’interpellation.

Pour l’heure, l’idée est de préserver l’unité associative et de déchiffrer les propositions du Premier ministre pour obtenir du rab d’ici aux municipales. Une mobilisation est prévue le 21 février, pour « maintenir la pression ». Le schéma de négociation revient à un genre classique. Reste à savoir s’il sera efficace en regard de la tendance à la radicalisation observée sur le terrain, où même les structures « sages » sentent la colère monter. Du fait d’une autre pression, venue de la rue et du nombre de gens dans l’urgence, qui n’ont pas le temps d’attendre, et se moquent pas mal des calendriers.

[^2]: Voir le détail sur .

Société
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