« On fait les poches des malades »
Deux cents personnes ont manifesté le 8 février lors des États généraux de l’organisation de la santé, à l’appel du Collectif national contre les franchises médicales.
dans l’hebdo N° 989 Acheter ce numéro
Haro sur les franchises ! Le mot d’ordre est lancé. Le Collectif national contre les franchises médicales, constitué d’environ 70 associations, de partis de gauche et de syndicats, ne perd pas une occasion de faire entendre son message. Bruno-Pascal Chevalier, malade du sida, qui a cessé, comme d’autres grévistes, de se soigner depuis bientôt cinq mois pour protester contre ces franchises, était présent, le 8 février, rue du Faubourg-Saint-Martin, où se tenaient les États généraux de l’organisation de la santé. Il a déclaré avoir « reçu 150 000 signatures de soutien » et reste déterminé : « J’irai jusqu’au bout de ma démarche. »
Pourquoi avoir choisi ce rendez-vous ? Professionnels, syndicats de médecins, élus et usagers y ont discuté avec le gouvernement du futur projet de loi sur la modernisation du système de santé, qui vise à améliorer l’accès aux soins. Or, l’accès pour tous est justement mis en péril par les franchises médicales. Mises en place depuis le 1er janvier, elles touchent tous les assurés sociaux à l’exception des bénéficiaires de la CMU, des étudiants et des femmes enceintes. Au-delà des 50 premiers euros remboursés, les patients sont mis à contribution (50 centimes par boîte de médicament et par acte paramédical, et 2 euros par transport sanitaire). Pour le collectif, pas de doutes : « Nicolas Sarkozy va chercher de la menue monnaie dans les poches des malades et, contrairement à ce que dit le gouvernement, ce sont les pauvres qui paient les franchises sur les soins. » Le mouvement « Ni pauvre ni soumis », qui regroupe les associations liées au handicap et aux maladies invalidantes (et appelle à une manifestation le 29 mars à Paris pour un revenu d’existence), est catégorique : « Les franchises médicales pèsent particulièrement sur les personnes handicapées, qui atteignent vite le plafond de 50 euros et ne touchent pas la CMU. »
Pourtant, lors des États généraux, pas un mot sur cette attaque au principe d’égal accès aux soins. Il n’est question que de la meilleure répartition des médecins généralistes sur le territoire. « Ces États généraux ne parlent que des médecins, c’est une mascarade , estime Jean-Marie Sala, secrétaire général adjoint de la fédération SUD santé. Pendant ce temps, on casse l’hôpital public en restreignant les budgets et on culpabilise les malades avec les franchises. »
Au sein même du gouvernement, la mesure ne fait pas l’unanimité. En témoigne la proposition d’un « bouclier sanitaire » lancée par Martin Hirsch, le haut commissaire à la Solidarité. Ce bouclier consisterait à plafonner les dépenses de santé non remboursées pour les revenus modestes, au-delà de ceux qui en sont exemptés. Une manière d’avouer la logique dévastatrice de ces franchises sur les revenus modestes.
Cette logique de chasse aux pauvres est pourtant voulue par le gouvernement. Éric Woerth, ministre du Budget, l’a lui-même confirmé. Il s’est dit assez « réservé » sur le projet de bouclier sanitaire parce qu’avec ce « concept, le risque existe que l’on change la logique du système » . Pour le collectif, « on a choisi un système où l’on responsabilise les cancéreux, les dialysés, les diabétiques et les accidentés du travail, alors qu’une taxation des stock-options pourrait rapporter 3,5 milliards de recettes par an pour la protection sociale » .
Mais que devient, dans l’histoire, la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot ? La présence prépondérante du ministre du Budget est révélatrice d’une inversion lourde de sens. Il s’agit de parler de « budget » et non de « santé », d’argent et non de soins. Dans un premier temps, Roselyne Bachelot a semblé reconnaître les méfaits des franchises pour les plus pauvres. C’était le 29 janvier à l’Assemblée nationale. Comme le rapportent l’association Aides, qui lutte contre le VIH, et la Nouvelle Association française des sclérosés en plaques (Nafsep) : « La ministre a reconnu que l’impact financier individuel des franchises n’était pas neutre et qu’une solution devait être trouvée pour aider les personnes les plus malades et celles disposant de faibles ressources. » Elle a alors eu une idée : « Il existe, en particulier dans les caisses d’assurance maladie, des mécanismes de prise en charge par le fonds national d’action sanitaire et sociale [Fnass], susceptible de financer des mesures individuelles. » Selon la ministre de la Santé, près de 224 millions d’euros pourraient être prélevés sur le Fnass (soit le budget total de son fonctionnement pour 2008), pour aider à faire face aux franchises. Cependant, comme le remarquent les associations, une telle mesure remettrait en cause « l’attribution d’aides jusqu’alors accessibles par ce biais » , et elles pointent l’incohérence de la ministre : « Alors que les franchises devaient pallier l’insuffisance de recettes du système d’assurance maladie, voilà que, pour remédier à leurs méfaits, la ministre propose que l’assurance maladie rembourse d’une main ce qu’elle prend de l’autre ! »
Depuis, Roselyne Bachelot est redevenue sarkozienne : aux pauvres d’être solidaires. « Ces franchises sont un effort de solidarité qui permet de répondre à de nouveaux besoins » , a-t-elle déclaré à la sortie des États généraux de la santé. Ces nouveaux besoins, c’est le plan Alzheimer du président de la République. En effet, chaque année, les franchises rapporteront 860 millions d’euros. Le plan Alzheimer prévoit, lui, le déblocage d’1,6 milliard d’euros sur la période 2008-2012. 1,4 milliard sera financé par les seules franchises. Mais, comme l’a indiqué le Synerpa, un syndicat des maisons de retraites privées satisfait du plan Alzheimer, mais qui en demande toujours plus : « L’apport des franchises médicales ne suffira visiblement pas à financer le 1,6 milliard annoncé. Où seront les financements manquants ? » On devine facilement la réponse : revenus modestes, encore un effort !