Ça l’affiche très mal…
Un chercheur belge a démontré que la quasi-totalité des publicités pour les autos sont illégales, au regard d’une directive européenne. Une campagne démarre pour inciter les citoyens à porter plainte contre les constructeurs.
dans l’hebdo N° 995 Acheter ce numéro
Personne ne s’en était aperçu. Aucun élu, aucune association, aucun journaliste. Il aura fallu qu’un chercheur un peu curieux aille fouiner dans la législation européenne pour découvrir le pot aux roses. Et, selon les termes de l’hebdomadaire britannique libéral The Economist , c’est une véritable « petite bombe pour les constructeurs » . D’après Pierre Ozer, chercheur en sciences et gestion de l’environnement à l’université de Liège (Belgique), la quasi-totalité des publicités pour voitures publiées dans les journaux, les magazines et sur les panneaux d’affichage sont illégales dans l’Union européenne.
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Leur tort ? Elles ne respectent pas la directive 1999/94/CE, qui stipule que, sur une pub auto, la consommation du véhicule et ses émissions de CO2 doivent être « facilement lisibles et au moins aussi visibles que la partie principale des informations figurant dans la [publicité] » . Bref, que le slogan ou le prix. Ces informations doivent en outre être « faciles à comprendre, même si elles sont lues rapidement » , poursuit la directive.
Or, pour lire ces mentions, mieux vaut s’équiper d’une échelle, d’une paire de jumelles ou d’une bonne loupe. Sur les panneaux, la taille des lettres utilisées est de 20 mm en moyenne, a constaté le chercheur. « Cela signifie que ces mentions sont, en moyenne, illisibles au-delà de 13 m pour une personne dotée d’une vue parfaite face à un panneau de 20 m2, dans des conditions de contraste et de luminosité optimales. »
Même constat dans la presse, où le nombre de litres consommés pour 100 km et de grammes de CO2 rejetés par kilomètre est systématiquement noyé au milieu d’un paragraphe crypté en bas de page.
Au-delà du simple constat, le chercheur a porté plainte contre une vingtaine de publicités auprès du Jury d’éthique publicitaire (JEP, l’organe d’autorégulation de l’industrie de la pub belge) et du ministère de l’Économie (au sein duquel des fonctionnaires sont censés rechercher et constater les infractions en la matière). Rapidement, une coalition d’ONG européennes
[^2] s’est engouffrée dans la brèche en mettant sur pied un outil redoutable : un site multilingue permettant à tout citoyen européen de porter plainte auprès de ces mêmes instances dans son pays.
« Vu l’urgence climatique, il est impératif que la loi soit respectée pour que les publicités automobiles puissent orienter le marché dans le bon sens. D’autant que la consommation de carburant est un critère important lors de l’achat d’un véhicule » , souligne Jeroen Verhoeven, de Friends of the Earth Europe (FoEE), qui pilote la campagne européenne depuis Bruxelles . Une récente étude, réalisée en France, montre en effet que 90 % des automobilistes accordent une attention « importante » ou « très importante » à la soif de pétrole d’une voiture susceptible de s’attirer leurs faveurs. Un critère qui se classe en quatrième position sur l’échelle des priorités, juste après la sécurité, la fiabilité et le prix de vente [^3].
En France, la campagne Affichez le CO2 ! démarre ce jeudi. « Nous proposons à chacun de porter symboliquement plainte contre une publicité, explique Olivier Louchard, du Réseau action climat (RAC-F), qui rassemble les principales associations environnementales de l’Hexagone et coordonne la campagne *. Il suffit de scanner une pub auto ou de la photographier avec un appareil numérique ou un téléphone portable, puis de l’envoyer via le site web. Cela ne coûte rien, n’engage à rien et ne prend que quelques minutes. »* Les associations promettent d’assurer à ces plaintes, simultanément envoyées au Bureau de vérification publicitaire (BVP) et aux ministères de l’Économie et de l’Environnement [^4], des suites politiques, voire judiciaires, tant à l’échelle française qu’européenne.
En Belgique, une action en justice a été lancée contre Saab par FoEE pour publicité trompeuse. Le JEP, qui croule sous les plaintes depuis trois semaines, s’est discrédité en remettant un avis dans lequel il prétend que la Toyota Prius, un véhicule hybride essence-électricité, ne produit « aucune émission de CO2 » . Chez les constructeurs, c’est la panique. On cherche un accord à l’amiable avec Pierre Ozer. Au Parlement, plusieurs questions ont été posées aux ministres responsables pour qu’ils prennent enfin leurs responsabilités. Si le dossier n’évolue pas rapidement, les associations déposeront une plainte à la Commission européenne contre l’État belge pour manquement à ses obligations.
Et en France ? Des actions judiciaires sont également possibles. Et elles pourraient faire mal. « Selon le décret de 2002 qui transpose la directive européenne en droit français, une violation de l’obligation posée par la directive entraîne une infraction de troisième classe , explique Joseph Breham, juriste à l’association Sherpa. Le montant de l’amende encourue, pour une personne morale, s’élève à 2 250 euros par panneau en infraction. » Autrement dit, si le constructeur visé s’est offert les 10 135 faces du « réseau France entière » loué par ClearChannel Outdoor, l’amende pourrait frôler les 23 millions d’euros !
Cette attaque frontale à l’échelle européenne cristallise en réalité l’exaspération des associations face à un secteur qui foule aux pieds ses engagements de réduction d’émissions de CO2. L’accord « volontaire » (sans sanction à la clé) conclu en 1998 avec la Commission prévoyait qu’en 2008 les nouveaux véhicules mis sur le marché européen ne pourraient rejeter plus de 140 g de CO2/km, en moyenne. Or, avec un score de 160 g/km en 2006, l’industrie n’atteindra pas cet objectif.
Voilà pourquoi la Commission planche aujourd’hui sur une nouvelle législation. Contraignante cette fois.
[^2]: Friends of the Earth Europe, Inter-Environnement Wallonie, Corporate Europe Observatory, Greenpeace, etc.
[^3]: «L’automobile et l’environnement», Dafsa/Global Insight, 2006.
[^4]: La DGCCRF, la DGE et la Dideme au ministère de l’Économie; la DSCR et la DPPR au ministère de l’Écologie.
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