L’Équateur empoisonné
Les Amazoniens réclament réparation à Quito pour les dommages causés par l’extraction du pétrole. Une activité florissante qui profite surtout aux firmes étrangères.
dans l’hebdo N° 994 Acheter ce numéro
«Voyez, c’est impossible de boire cette eau-là, elle est contaminée. » Fani Cumbicos, une jeune paysanne de Poso Lobo, concession de la société pétrolière française Pérenco, en Amazonie équatorienne, agite un bâton dans une mare végétale. Elle avait l’habitude d’y recueillir son eau de consommation. Mais le bout de son branchage débusque des reflets moirés révélant la présence d’hydrocarbures et de produits chimiques. « Mon fils de 10 ans et mes filles de 8 et 6 ans ont des maux de tête » , se plaint-elle. Elle-même n’a plus la santé pour aller travailler sur les marchés des villages. « Nous avons alerté la firme qui a pompé, mais le pétrole est toujours là, en dessous. »
Des plaintes de ce genre, l’Office du comité des droits de l’homme d’Orellana, dans la capitale régionale Coca où vivent de nombreux indigènes et colons attirés par les activités du pétrole , en recueille une demi-douzaine par semaine. Depuis des années, les associations environnementalistes et indigènes dénoncent des incidences sanitaires : maladies de peau, d’estomac, infections respiratoires aiguës, maux de tête, risque d’avortement (2,5 fois plus élevés que la moyenne) et cancers. Mais rares sont les plaintes qui donnent lieu à une intervention de la justice.
Un paysan devant son champ, rendu impraticable par les opérations pétrolières.
J.-A. BERTOZZI K COLLECTIF
«Ces fuites et ces ruptures sont dues au mauvais état des canalisations et du matériel, et à des dégradations volontaires comme des vols et des attentats » , explique Ivan Narvaez, ancien avocat, chercheur à la faculté des sciences sociales à Quito. Fin février, encore, le Sote, principal oléoduc, vieux de 36 ans, a laissé échapper l’équivalent de 40 0000 barils de pétrole à la suite de pluies diluviennes. Ce qui a causé un glissement de terrain dans le piémont andin, menaçant plusieurs rivières et les populations locales. Bon nombre des canalisations qui strient le paysage amazonien ont le même âge. L’exploitation des réserves d’hydrocarbures d’Amazonie a démarré en 1972. Aujourd’hui, cette activité représente un tiers des ressources du pays.
La fusion des fonds de récupération des ressources pétrolières (1,4 milliard de dollars), entreprise fin février par le ministère des Finances, a suscité de nombreux débats : ce sont des revenus très utiles pour le programme social du gouvernement socialiste. Dans ce pays pauvre, où la moitié des actifs connaît le sous-emploi, seule une part réduite des revenus de l’extraction du pétrole, assurée à 50 % par les firmes étrangères, rejoignait jusque-là l’escarcelle de l’État. Avec le socialiste Rafael Correa, au pouvoir depuis janvier 2007, soutenu par les mouvements progressistes et indigènes, la donne est en train de changer. En octobre dernier, le gouvernement a imposé aux firmes étrangères de nouveaux contrats, bien moins avantageux. Par ailleurs, le Président a proposé fin septembre une alternative au grand projet d’extraction gouvernemental ITT ^2. Pour le manque à gagner que représente cette participation à la protection d’un bien commun planétaire, l’Équateur demande aux institutions internationales une contribution de 350 millions de dollars par an.
Mais les Amazoniens ont perdu confiance. Car, comme par le passé, l’État recourt à la militarisation pour garantir l’activité pétrolière stratégique et réprimer les contestations. Il y a eu un mort lors de manifestations le 4 octobre en Orellana, mais aussi des affrontements, des brutalités et des arrestations. Neuf paysans sont toujours emprisonnés depuis l’état d’urgence décrété début décembre dans le district de Dayuma…
Là, dans ces concessions brésiliennes, chinoises et équatoriennes, 47 puits ont été bloqués, occasionnant 10 millions de dollars de pertes selon les autorités. Des paysans fermaient les routes pour réclamer l’application d’un accord signé en 2005 avec la société d’État Petroproduccion. « Nous sommes oubliés : nous n’avons ni eau saine, ni université, ni hôpital, dénonce la préfète élue d’Orellana, Guadalupe Llori. Pourtant, la plus grande part de la production pétrolière est réalisée dans la région. Et Petroproduccion, à lui seul, génère 400 fuites qui polluent les sols et les rivières. Mais l’argent est plutôt envoyé vers Guayaquil, la capitale économique. »
«La panoplie de règlements et de lois est rendue inefficace par le manque de contrôle, d’entretien et d’investissement, explique Ivan Narvaez *. La militarisation et l’état d’urgence vont à l’encontre des droits des communautés. »* Lesquels figurent dans la très avant-gardiste constitution équatorienne depuis 1998.
Certes, Rafael Correa
[^3] a mis fin à l’état d’urgence, a reçu les manifestants et a ouvert des commissions d’enquête. Cependant, Guadalupe Llori, membre du parti indigène Pachakutik, figure politique, ancienne maire et leader d’organisation des droits de l’homme, est aujourd’hui dans le collimateur. Si les premières accusations de terrorisme et de sabotage ont été abandonnées faute de preuves, elle a été incarcérée à Quito le 8 décembre pour une histoire d’irrégularité de contrat dans son district. Ses partisans se mobilisent. Le 11 mars, une demande d’amnistie a été examinée par une des commissions de l’assemblée constituante.
[^2]: Ishpingo-Tiputini-Tambococha.
[^3]: Rafael Correa est en période électorale permanente: la nouvelle constitution sera soumise au référendum en juillet 2008.