L’impuissance occidentale
La communauté internationale se montre étrangement modérée dans sa protestation contre la répression qui s’abat sur les Tibétains.
dans l’hebdo N° 994 Acheter ce numéro
Les mots ne vous rappellent rien? Les États-Unis appellent la Chine à faire preuve de « retenue ». Comme si la répression des manifestations au Tibet n’était blâmable que dans ses excès. Les mêmes mots que ceux qui absolvent régulièrement les raids sanglants de l’armée israélienne sur les territoires palestiniens. Les mêmes réactions quasi pavloviennes pour l’autre grande injustice coloniale de notre époque. Là aussi, les pays occidentaux sont réticents pour ne pas dire plus à envisager la moindre mesure pour tenter de mettre un terme à la répression au Tibet. Il est vrai que le marché chinois est promis au plus indulgent et que les plus critiques sur la question des droits de l’homme risquent d’être frappés au portefeuille. Usant elle aussi du même registre que dans le conflit israélo-palestinien, la Commission européenne s’est déclarée, lundi, « très inquiète », mais pour mieux souligner aussitôt que le boycottage des Jeux olympiques de Pékin, en août prochain, n’était pas « une manière appropriée » de répondre au problème. Mais ici, il s’agit moins de psychologie ou de communauté culturelle, comme celle qui peut unir Israël au monde occidental, que d’intérêts économiques bruts de décoffrage. Européens et Américains sont concurrents face à ce marché émergent gigantesque.
Nicolas Sarkozy s’est rendu en Chine en novembre avec à la clef la signature de vingt milliards d’euros de contrats. Le Premier ministre britannique, Gordon Brown, vient aussi de faire le voyage pour obtenir la promesse d’augmenter de 50 % les échanges sino-britanniques d’ici à 2010. Quant aux États-Unis, ils peuvent difficilement s’accommoder de l’énorme déficit commercial de 256,3 milliards d’euros accumulé avec la Chine. Face à ces « impératifs commerciaux », que vaut le sort des Tibétains ? Sur place, il semble que deux grandes manifestations de moines qui ont eu lieu vendredi et samedi, aux cris de « Tibet libre ! » autour du grand monastère de Labrang, aient été sévèrement réprimées. De source tibétaine en exil, on parlait de 80 morts. Il semble aussi que l’agitation ait gagné plusieurs provinces chinoises limitrophes peuplées de communautés tibétaines. Prolongement d’une longue tragédie. La Chine populaire a revendiqué le territoire tibétain, vaste de plus d’1,2 million de kilomètres carrés, dès le lendemain de la révolution communiste. Les troupes chinoises sont entrées au Tibet en 1950, établissant un « protectorat ». À l’issue de la grande révolte de 1959, le dalaï-lama, chef suprême des bouddhistes du Tibet, a dû se réfugier en Inde. Plusieurs autres révoltes sont intervenues, entre 1987 et 1989 notamment. Depuis, la colonisation chinoise s’est accélérée, transformant notamment la composition ethnique de la capitale, Lhassa.
Malgré l’apparente impuissance des Occidentaux, on imagine mal un silence complice ou une réprobation de pure forme si la répression s’accentuait. Et pourtant ! La seule solution serait que la communauté internationale offre un front uni, sans laisser penser à Pékin que l’un des grands partenaires est prêt à jouer sa partition en sous-main. Mais pour qu’une telle unanimité s’exprime, il faudrait vraiment que les opinions publiques la rendent inévitable.