Courrier des lecteurs Politis 999

Politis  • 24 avril 2008 abonné·es

Politis et la LCR

Lecteur de Politis depuis le premier numéro, en 1988, longtemps non abonné pour que le journal soit visible sur les présentoirs du marchand de journaux près de chez moi, abonné depuis que cet homme a pris sa retraite sans trouver de remplaçant, j’ai toujours mis la main à la poche pour soutenir Politis dans ses crises successives, et adhéré à toutes les structures de soutien mises en place pour le sauver de la faillite. Bref, je suis le prototype du lecteur fidèle et attentif ! Tout cela sans aucun mérite puisque je suis en total accord avec la ligne éditoriale : écologiste, féministe, anticapitaliste, internationaliste, antiraciste, etc. Et plus encore avec le parti pris de donner la parole à tous les courants de gauche, y compris à certains militants socialistes et chevènementistes, de façon certes distanciée, franchement critique parfois, mais toujours ouverte, attentive, respectueuse, avec le souci de laisser aussi les acteurs s’exprimer directement pour donner à comprendre les analyses et les choix des uns et des autres. Politis , sous la direction de Denis Sieffert comme sous celle de Bernard Langlois précédemment, tient ainsi sa ligne de gauche sans s’identifier à aucun parti ou à aucune force en particulier, restant sur le terrain de l’information qui, pour être engagée, n’en est pas moins « objective ». Une vraie réussite dans le domaine de la presse libre, dont je mesure fort bien […] les efforts qu’il en a coûté et ceux qu’il en coûtera. Pourtant, depuis quelques mois, un malaise grandissant m’envahit. Par touches répétées, souvent insidieuses, toujours ou presque dans un style désagréable car agressif et sans appel, la LCR semble devenir une cible permanente du journal. Or, je suis militant (de base, comme on dit) de la LCR depuis 2002, tout en étant lecteur de Politis depuis 1988, et demeuré lecteur après 2002, plus fidèle même qu’à Rouge , je n’hésite pas à le dire, bien que ce journal militant soit bien conçu dans son genre. En vous écrivant, je ne demande pas à Politis de devenir le journal de la LCR ou du « nouveau parti anticapitaliste », comme d’autres ont cherché à faire du journal celui d’Attac il y a quelque temps. Le débat, les différences, les frottements, les engueulades ne me gênent pas. Au contraire. À une condition toutefois : que ce soit dans le respect de chacun. Ne présenter, depuis plusieurs mois maintenant, le projet politique de la LCR que sous l’angle d’une vulgaire – ou vaste, c’est pareil – manœuvre d’appareil à usage interne, et les collectifs unitaires comme le nec plus ultra de l’avenir des gauches, en ne donnant plus jamais directement ou simplement la parole aux uns mais seulement et longuement aux autres, m’étonne de votre part. Encore une fois – que les choses soient bien claires – le fait de ne pas partager le projet de la LCR, de discuter sa stratégie, de la réfuter, voire de la rejeter, ne me dérange en rien. Je suis intimement persuadé qu’au bout du compte cela aidera toutes les gauches à progresser, et c’est bien dans cet esprit que Politis a été fondé et s’est développé. Encore faut-il le faire avec une certaine générosité et un minimum de confiance envers les dirigeants et, plus largement, des militants qui, s’ils sont loin d’être parfaits, n’en sont pas moins motivés, avant toute autre chose, par la volonté de sortir la société française de l’extraordinaire désastre dans lequel elle s’enfonce chaque jour un peu plus depuis un quart de siècle. Mai 68 remonte à 40 ans. Que de chemin parcouru – dans le mauvais sens, hélas – depuis 1974, et plus encore depuis 1983-1984. Et quelle urgence il y a à remonter la pente ! Je sais que vous pensez de même sur le fond. Recréer – en réalité, créer – une force sociale et politique, efficace et démocratique, de contestation tout à la fois du capitalisme, du patriarcat, du productivisme et des nationalismes sera une tâche proprement titanesque. Les citoyens et les citoyennes qui sont d’ores et déjà engagés dans ce processus auront besoin, j’en suis convaincu, de beaucoup de confiance réciproque et de beaucoup de générosité pour y parvenir. Ce qui n’exclut, bien sûr, ni la lucidité politique, ni l’esprit critique. À Politis de continuer à donner l’exemple de ces qualités humaines qui ne doivent jamais s’exclure mais s’additionner pour nous garantir de l’étroitesse d’esprit et des haines intestines. Salut et fraternité à toute la rédaction de mon hebdomadaire préféré depuis vingt ans !

Gilles Richard, Tours (Indre-et-Loire)

Liquider 68 le temps d’un débat

Lettre ouverte à Daniel Leconte, producteur à Arte, Fabrice Gardel, rédacteur en chef à « Doc en stock », Philippe Val et Bettina Röhl, participants du « débat » sur le documentaire
En mai fais ce qu’il te plaît (réalisatrice Stéphanie Kaïm), diffusé sur Arte le 15 avril, dans le cadre de la soirée thématique « Est-il interdit d’interdire ? »

Quand nous avons été contactés pour participer à un reportage sur nos années Vitruve (autour de 1975), nous étions partagés entre le plaisir d’évoquer cette période spéciale, si riche pour nous, et la crainte d’être incompris, voire instrumentalisés. Les relations que nous avons pu tisser avec la journaliste réalisatrice Stéphanie Kaïm et la boîte de production nous ont permis de peser sur quelques choix de montage et, finalement, de nous reconnaître dans la version finale du documentaire. C’est avec plaisir que nous l’avons regardé, même si sa durée empêchait d’apporter toutes les clés pour comprendre l’expérience Vitruve. Mais nous voulons dire notre déception et notre colère par rapport au cadre dans lequel le film était programmé. En effet, n’est-il pas manipulateur d’associer dans une même soirée une expérience pédagogique et un festival pornographique (avec dérives pédophiles), puis de tenter d’en débattre simultanément ? Les glissements d’un thème à l’autre étaient inévitables et ne furent pas évités lors du « débat ». Nous nous demandons si Daniel Leconte (producteur des deux documentaires, donc responsable de leur accolement, et maître de cérémonie) ne participe pas ainsi (involontairement ?) au « liquider Mai 68 ». De plus, inviter Philippe Val parce qu’il avait 16 ans en 1968 et allait en vélo au Quartier latin, c’est un peu court ! Et avec l’autre invitée, Bettina Röhl, fille d’Ulrike Meinhof, dont on comprend très bien qu’elle ait des comptes à régler et diabolise 68, on savait d’avance qu’on ne parlerait pas « des lendemains qui chantent » ! Et ni l’un ni l’autre ne semblaient compétents pour débattre sur l’école, ni même un tant soit peu intéressés par le sujet ! De toute évidence, ils venaient faire la promo de leurs bouquins. Daniel Leconte leur passait les plats, les laissant blablater sur « l’esprit 68 » sous ses aspects les plus caricaturaux et éculés (pédophilie, terrorisme, dont on a appris avec surprise, que Lacan, avec son divan, « nous avait sauvés en France » , dixit Philippe Val) ! Alors, les invités se sont accordés pour rejeter d’emblée et en quelques minutes l’expérience de l’école Vitruve comme participant des « dérives » de 68 (savent-ils que Vitruve existe encore ? Que les expériences pédagogiques existent encore et existaient – et heureusement ! – depuis bien avant 1968 ?), assimilant ces expériences à des « expérimentations » dont les enfants étaient les « cobayes » (ont-ils seulement regardé le reportage qui montrait précisément l’inverse ? Que savent-ils du projet de Vitruve ?), qualifiant ces expériences pédagogiques de « sacrée foutaise » , parlant d’« assujettissement des enfants aux fantasmes d’adultes » , donc « de là à la pédophilie… » , voire au terrorisme ! Mais pourquoi Daniel Leconte, animateur du débat et producteur du film, n’a-t-il pas une seule fois tenté d’expliquer le propos du film, pourquoi ne pas l’avoir défendu en tant que producteur ? Et pourquoi n’a-t-il pas recentré le débat sur l’éducation ? Pourquoi n’a-t-il pas apporté les éléments de contexte nécessaires à la compréhension du documentaire qu’il connaissait bien, tels que le fait que Vitruve est une école publique expérimentale qui existe depuis 1962, qu’il n’y a jamais eu de dérives pédophiles dans cette école, que le projet pédagogique présenté dans le documentaire mettait en œuvre les valeurs très honorables, et malheureusement novatrices à l’école, de responsabilisation, d’autogestion, de démocratie, de citoyenneté, de liberté, etc. ? Pourquoi son silence là-dessus ? Au final, quand nous coupons la télé à la fin du non-débat, nous sommes en colère et blessés par un tel traitement, un tel mépris, une telle incompréhension. Nous sommes stupéfaits aussi que de tels amalgames et un si piètre niveau de discussion soit possible sur Arte. Nous espérions que cette expérience pédagogique si singulière cette année-là (et Vitruve en général, ainsi que d’autres expériences pédagogiques fortes) soit au moins l’occasion d’une discussion sur l’éducation et la pédagogie au-delà des mots (ou des maux) du jour – « programme, élitisme, autorité, obéissance, sécurité, tolérance zéro » –, qui caractérisent les fantasmes politiques actuels sur l’éducation de nos enfants. C’est raté. L’esprit de Mai est-il à ce point « liquidé » ? Victime du conformisme « bête et méchant », d’amalgames malhonnêtes ? Et ne reste-t-il que le marketing triomphant (l’un vend ses documentaires, les autres leurs livres) ?
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Des participants au film «En mai fais ce qu’il te plaît » en colère, Julie Pagis, coauteure du documentaire, Juliette Bart, Cyrille Bouvet, Mathieu Crespin, Muriel Flouriot, Barbara Marie, Rafaëlle Pignon, anciens élèves de Vitruve et « personnages » du documentaire, Henry Chaillié et Maïté Gourjault, anciens instituteurs de Vitruve l’année du cirque étoilé, et d’autres anciens élèves, parents d’élèves, instituteurs passés et présents qui se sont manifestés à nous dans ce sens…*

Courrier des lecteurs
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