D’une rive à l’autre

Deux œuvres marquantes au Panorama des cinémas du Maghreb, autour de deux systèmes
de domination, industrielle et domestique.

Ingrid Merckx  • 10 avril 2008 abonné·es

El Ejido. La ville la plus prospère d’Andalousie. Paradis touristique. 70 % de la population vit de l’agriculture, un secteur qui repose en grande partie sur la surexploitation d’ouvriers immigrés. Venus d’Europe de l’Est dans des supermarchés où ils trient et emballent des fruits, légumes ou fleurs en partance pour le Nord. Et du Maroc, dans des serres où ils arrosent, récoltent, transpirent. Par près de 50°C sous les bâches. Bâches qu’ils retrouvent le soir, puisqu’ils vivent dans des cabanes en sacs-poubelles. Pas d’eau, pas d’électricité, le nez dans des bassins de pesticides. Abris en plastique pour travailleurs jetables. Qui se sont endettés pour des traversées à 7 000 euros. Qui trouvent une vie de misère où la journée de labeur rapporte 25 euros. Sans espoir d’être reconduits le lendemain. Et sans garantie d’obtenir des papiers.

Telle est « l’Europe en plastique » que dévoile Jawad Rhalib dans El Ejido, la loi du profit , favorisant les entretiens ­ avec des ouvriers clairvoyants, des propriétaires ouvertement racistes, une militante des droits de l’homme déprimée et un écologiste isolé ­ et les plans larges sur une nature ravagée entre serres, grands hôtels et affiches publicitaires qui clament, indécentes : « ElEjido, la ville où il fait bon vivre. » Seule la voix off est un peu vieillotte dans ce film où le propos et le montage sont à la hauteur de l’enjeu politique.

Passage sur l’autre rive et du côté de l’autre sexe avec Je voudrais vous raconter , un documentaire qui frappe par la force de ses témoignages. Que savez-vous du nouveau code de la famille ? interroge Dalila Ennadre en 2005, deux ans après la réforme de la Moudawana, qui régit le statut des femmes au Maroc. Presque rien, répondent la plupart, qui, blédardes ou citadines, avouent leur ignorance, leur analphabétisme, leur soumission sociale.

La cinéaste profite de son enquête pour dresser un état des lieux de la situation des Marocaines, tisseuses, vendeuses de gâteaux ou ouvrières. Droit de divorcer, d’emmener ses enfants, de réclamer une pension alimentaire… Des militantes proclament sur la place publique les nouveaux droits des femmes dans une scène marquante de ce film qui en compte au moins deux autres~: quatre hommes débattant de manière éclairée de cette réforme à une terrasse de café. Et un groupe d’ouvrières alpaguées sur une pelouse ­ par un homme, évidemment ­ car elles chantent pendant leur pause. Des séquences qui tiennent de la prouesse dans un pays où censure et autocensure sont encore monnaie courante.

Domination industrielle ou domestique : ces deux volets suffisent à inciter à se rendre au Panorama des cinémas du Maghreb. Un festival qui propose une trentaine de films, comme Vivre au Paradis (Bourlem Guerdjou, 1997) et Tanger, le rêve des brûleurs (Leïla Kilani, 2002), et des oeuvres plus récentes, dont Casanayda ! de Farida Benlyazid et Abderrahim Mettour, sur la movida marocaine, ou Arezki, l’insoumis , de Djamel Bendeddouche, l’histoire d’un « Che » algérien.

Culture
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