Espoir ou piège ?

Ils travaillaient, cotisaient, mais n’avaient droit à rien : les salariés sans papiers en grève depuis le 15 avril pourraient obtenir des régularisations au cas par cas. Serait-ce une brèche dans la politique d’immigration ?

Ingrid Merckx  • 30 avril 2008 abonné·es

EN 1991, JACQUES CHIRAC prononçait son tristement fameux discours sur les désagréments supposément causés aux Français par les immigrés. Son texte sur « le bruit et l’odeur » recadrait la politique française d’immigration dans le sens d’une suspicion décomplexée à l’égard des étrangers. « Nous n’avons plus les moyens d’honorer le regroupement familial, et il faut enfin ouvrir le grand débat qui s’impose dans notre pays, qui est un vrai débat moral, pour savoir s’il est naturel que les étrangers puissent bénéficier, au même titre que les Français, d’une solidarité nationale à laquelle ils ne participent pas puisqu’ils ne paient pas d’impôt ! » Cela, en faisant mine d’ignorer la participation de nombre de travailleurs sans papiers à l’effort national. Dix-sept ans plus tard, les conditions d’accès au regroupement familial ont été considérablement durcies, notamment par la loi Hortefeux du 20 novembre 2007. Et des sans-papiers en arrivent à des situations extrêmes, comme Baba Traoré, Malien de 29 ans décédé le 4 avril à Joinville-le-Pont.

C’est dans ce contexte que survient le mouvement des 600 sans-papiers salariés depuis des années dans l’hôtellerie, la restauration, le bâtiment ou le gardiennage (voir Politis n° 999). Le 15 avril, avec le soutien des associations, des syndicats et de leurs patrons, ils ont entamé une grève pour faire valoir leur droit à une régularisation par le travail. Le 24 avril, Brice Hortefeux, ministre de l’Immigration, annonçait qu’il y aurait des régularisations, mais au cas par cas. Le message est clair : « Le gouvernement ne souhaite pas d’appel d’air […] pas de régularisation massive. » Il n’empêche, les associations y voient une brèche dans la politique d’immigration qui s’est faite de plus en plus répressive depuis 2002. Ces régularisations par le travail ont un air de reconnaissance d’une réalité et suscitent de l’espoir : la tendance pourrait-elle s’inverser ?

Illustration - Espoir ou piège ?


«Signature de pétition devant le restaurant “chez Papa”» / SAGET/AFP

« Cela bouillonnait depuis trop longtemps, estime Claire Rodier, du Gisti. On ne sait pas combien sont les travailleurs sans papiers en France, mais plusieurs milliers sans aucun doute, qui cotisent et paient des impôts. Cette grève, c’est un trop-plein qui pète, et la preuve flagrante de l’échec du dispositif. Elle fait apparaître aux yeux du public la contradiction entre la réalité et la législation. » Dans le prolongement de mouvements comme celui du Réseau éducation sans frontières, cette grève fait émerger des histoires personnelles, des parcours. « Ainsi , résume Claire Rodier, les sans-papiers ne sont plus une masse anonyme mais des personnes qu’on croise tous les jours et dont les situations permettent un autre regard sur l’immigration. » Autre événement, ce mouvement a été soutenu par les syndicats, la CGT en tête, qui tardaient à se mobiliser sur ce front. « Le soutien des patrons est moins surprenant , souligne Claire Rodier. La circulaire de juillet 2007 les a contraints à vérifier les titres de séjour de leurs salariés. Mais ils suivent toujours la même logique : ils ont besoin de ces employés sur qui repose une partie de la dynamique économique. »

Méfiance néanmoins : que penser d’un système qui prend en compte les immigrés uniquement sous le prisme de l’intérêt économique ? D’autres raisons de présence sur le territoire sont-elles moins légitimes ? Cette régularisation de travail est un procédé exceptionnel et non une régularisation de droit, rappellent les associations, pour lesquelles la grève du 15 avril doit s’inscrire dans un mouvement global pour la régularisation de tous les sans-papiers. Méfiance aussi parce que l’article 40 de la loi sur l’immigration (et la circulaire du 7 janvier 2008) sur lequel s’appuient les demandes de régularisation par le travail « conditionne l’examen de la demande à la présentation d’un contrat de travail pour un emploi figurant parmi une liste de métiers très réduite , explique Damien ­Nantes, de la Cimade. Cette liste ne concerne que les emplois qualifiés et discrimine les ressortissants des pays tiers (sauf Tunisiens et Algériens, soumis à d’autres accords) par rapport aux Européens. Par ailleurs, elle repose sur le pouvoir discrétionnaire du préfet, avec tout l’arbitraire que cela implique. » Quels seront les critères d’acceptation et de refus ? Méfiance, enfin, car la brèche est aussi un piège : c’est le même texte qui ouvre une possibilité de régularisation par le travail et qui instaure des quotas d’expulsions. Certains sans-papiers risquent d’être arrêtés au moment du dépôt de leur demande. D’où la consigne : « Ne pas rester seul, prendre conseil auprès d’un syndicat ou d’une association. »

Pour l’heure, l’association Droits devant !!, à l’origine du mouvement du 15 avril, invite à maintenir les piquets de grève sur les 17 sites concernés.

Société
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