Fraises espagnoles, un bilan écologique et social catastrophique

Devant le succès de l’article de Claude-Marie Vadrot sur les fraises espagnoles publié le 12 avril 2007, Politis.fr vous en propose une version actualisée en accès libre.

Non seulement les fraises importées d’Espagne n’ont aucun goût, mais elles représentent une catastrophe environnementale et sanitaire. Voici de quoi vous en dégoûter à tout jamais…

Claude-Marie Vadrot  et  Politis.fr  • 27 avril 2008
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D’ici à la mi-juin, la France aura importé d’Espagne plus de 90 000 tonnes de fraises [[Pour une consommation française marchande annuelle de 130 000 tonnes
]]. Enfin, si on peut appeler fraise ces gros trucs rouges, encore verts autour de la queue parce que cueillis avant d’être murs, et ressemblant à des tomates ; avec d’ailleurs à peu prés le goût des tomates. Si le seul reproche envers ces « fruits » était leur fadeur, après tout, seuls les consommateurs piégés pourraient se plaindre d’avoir acheté un produit qui se brade actuellement entre 2 et 3 euros le kilo dans les marchés et les grandes surfaces, après avoir parcouru 1 500 kilomètres en camion. A dix tonnes en moyenne par véhicule, ils sont 10 000 par an à faire un parcours valant son pesant de fraises en CO2 et autres gaz d’échappement. Car la quasi-totalité de ces fruits poussent dans le sud de l’Andalousie, sur les limites du parc national de Doñana, près du delta du Guadalquivir, l’une des plus fabuleuses réserves d’oiseaux, migrateurs et nicheurs d’Europe.

Il aura fallu qu’une équipe d’enquêteurs du WWF s’intéresse à la marée montante de cette fraise hors-saison, pour que commence à être révélée l’aberration écologique de cette production qui étouffe la fraise française dont une partie, d’ailleurs, ne pousse pas dans de meilleures conditions écologiques quand elle provient également de serres chauffées. Ce qu’on découvert les envoyés spéciaux du WWF et ce que confirment les écologistes espagnols illustre la mondialisation bon marché.

Cette « agriculture » couvre près de 6 000 hectares dont une bonne centaine empiète déjà en toute illégalité (tolérée) sur le parc national. Officiellement, 60 % seulement de ces cultures sont autorisées ; les autres sont des extensions « sauvages » sur lesquelles le pouvoir régional ferme les yeux en dépit des protestations des écologistes. Les fraisiers destinés à cette production, bien qu’il s’agisse d’une plante vivace productive plusieurs années, sont détruits chaque année. Pour donner des fraises hors saison, les plants produits in vitro sont enfournés en plein été dans des frigos qui simulent l’hiver pour avancer leur production. A l’automne, la terre sableuse est nettoyée, stérilisée, la microfaune détruite, avec du bromure de méthyl et de la chloropicrine. Le premier est un poison violent interdit par le protocole de Montréal sur les gaz attaquant la couche d’ozone signée en 1987 (dernier délai en 2005) ; le second, composé de chlore et d’ammoniaque est aussi un poison : il bloque les alvéoles pulmonaires en entraînant de violentes douleurs. Il a longtemps servi de gaz de combat et a été utilisé pour la dernière fois par Ali Hassan Al-Madjid dit Ali le Chimique, au Kurdistan, contre les Chiites et contre les Iraniens pour le régime de Saddam Hussein, ce qui lui a valu l’année dernière une condamnation à la peine de mort…

Qui s’en soucie ? La plupart des producteurs de fraises andalouses emploient une main d’œuvre marocaine ou roumaine, des saisonniers ou des sans-papiers sous-payés et logés dans des conditions précaires, se réchauffant le soir en brûlant les résidus des serres en plastique qui recouvrent les fraisiers au cœur de l’hiver. Un écolo de la région raconte l’explosion des maladies pulmonaires et de affections de la peau. Les plants poussent sur un autre plastique noir et reçoivent une irrigation goutte à goutte qui transporte les engrais, des pesticides et des fongicides. Pour le lecteur dont l’appétit ne serait pas encore coupé, continuons.

Les cultures sont alimentées en eau par des forages dont la moitié a été installés de façon illégale et dont 80 % tirent plus d’eau qu’ils ne sont autorisés à le faire : en moyenne 4500 m3 par hectare. Ce qui transforme en savane sèche une partie de cette région d’Andalousie, entraîne l’exode des oiseaux migrateurs et la disparition des derniers lynx pardel, petits carnivores dont il ne reste plus qu’une trentaine d’individus dans la région. Leur seule nourriture, les lapins, sont en voie de disparition. Comme la forêt, dont 2 000 hectares ont été rasés pour faire place aux fraisiers. La saison est terminée au début du mois de juin. Les cinq mille tonnes de plastiques, le noir et le blanc, sont soit emportés par le vent, soit enfouies n’importe où, soit brûlées sur place. Et les ouvriers agricoles sont priés soit de retourner chez eux, soit de s’exiler ailleurs en Espagne. Pour se faire soigner à leurs frais après avoir respiré les produits nocifs.

La production et l’exportation de la fraise espagnole -l’essentiel étant vendu avant la fin de l’hiver et en avril- représente ce qu’il y a de moins durable comme agriculture et bouleverse ce qui reste dans le public comme notion de saison. Quand la région sera ravagée et la production trop onéreuse, elle sera transférée au Maroc où les industriels espagnols de la « fraise » commencent à s’installer. Avant de venir de Chine d’où sont déjà importés des pommes encore plus traités que les pommes françaises.

Dommage que les consommateurs se laissent prendre, comme ils se laissent prendre aux asperges « primeur » en provenance de la même région et bénéficiant des mêmes soins chimiques. Au lieu d’attendre quelques semaines que les producteurs de proximité offrent les mêmes produits sur des marchés de proximité.

Écologie
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