« Ici, la diversité se vit naturellement »
Professeur de droit public, Pascal Binczak, dirige l’université de Paris-VIII-Vincennes à Saint-Denis depuis dix-huit mois. Il prépare l’anniversaire de son établissement, 40 ans en 2009.
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Qu’est ce qui vous fait le plus envie, le plus rêver dans ce passé que vous explorez ?
Pascal Binczak : Le côté pleinement expérimental de Paris-VIII au cours de ses premières années, la liberté, l’aventure. Les gens paraissent avoir vécu pendant des années dans une création permanente. Et puis côtoyer tous ces intellectuels, tous ces grands noms, cela devait être passionnant. Pour les étudiants comme pour les enseignants.
Comment avez-vous progressé dans la connaissance de cette histoire ?
Les 40 ans, c’est de l’histoire, mais pas de la nostalgie, seulement une occasion de se projeter dans une nouvelle histoire. J’ai appris beaucoup de choses en préparant l’anniversaire, par les conversations, les contacts en interne et aussi les contacts extérieurs.
Vous voulez dire à l’étranger ?
Bien sûr, le rayonnement de notre université y est bien plus grand qu’en France. Nos diplômés sont partout dans le monde. Sur les 2 000 docteurs de l’université, 1 000 sont de nationalité étrangère. Nous avons des cotutelles de thèse avec 56 universités étrangères, et sur nos 676 enseignants, 88 sont étrangers. Parmi nos étudiants, nous avons recensé 157 nationalités. Nous contribuons bien plus que d’autres au rayonnement français. Cela fait partie de l’excellence de Paris-VIII : être identifiée et identifiable comme une université-monde centrée sur l’exploration de la diversité culturelle et de la mondialisation, au sens où le poète Édouard Glissant définit le « tout-monde » comme espace d’échange et d’enrichissement mutuel sans cesse renouvelé entre les différentes cultures.
Et en France ?
Disons que notre image est brouillée, floue et surtout ambiguë. Paris-VIII est devenue depuis trop longtemps une belle endormie. Mais elle garde intacts certains de ses attraits, notamment l’excellence de sa recherche. Et l’originalité de beaucoup de ses formations.
Vous l’avez réveillée ?
Elle est capable de le faire seule.
À quoi attribuer cette image floue ?
Il y a un clivage de générations. Pour ceux qui n’ont pas eu la chance d’avoir des parents de gauche, Mai 68, c’est loin. Mais dans l’histoire il y a des cycles, et Mai 68 comme notre université sont en train d’être réinvestis par une nouvelle génération. De plus, comme le souhaitait Deleuze, il aurait fallu des « Vincennes de sciences ». Et puis notre image floue vient aussi de l’oubli de ce que l’Université française doit à Pari-VIII : les unités de valeur, les études semestrielles, la conception des cours, le contrôle continue, la formation permanente. En fait, il y a longtemps que nous avons inventé le concept « réussir en licence » de la loi sur les universités de Valérie Pecresse.
Pourquoi ne vous aime-t-on pas ?
L’appréhension devant la différence, devant notre culture de la pensée critique du monde contemporain. Il y a ceux qui l’acceptent parce qu’ils savent que c’est positif, il y ceux qui, pétris de conservatisme, le rejettent. Nous sommes le symbole du questionnement perpétuel et du progressisme. Cela fait des années que les pouvoirs véhiculent les mêmes clichés, les mêmes rumeurs fausses sur notre université. Alors que, exemple entre mille, le président des Galeries-Lafayette est un ancien de Paris-VIII.
Vous êtes plutôt satisfait ?
Oui, j’ai envie de dire qu’on est les champions. Mais on est conscients du système concurrentiel. Surtout avec une dotation ridicule de 3 000 euros par étudiant, alors que d’autres universités et grandes écoles atteignent 20 000. Dans le fond, nous sommes très rentables. Parce que nous avons la culture du service public en dépit des difficultés.
Qu’est-ce qui vous permet de tenir ?
La proximité entre les enseignants, les personnels et les étudiants. Nous demeurons une communauté. Ici, ça reste une sorte de paradis.
Votre place en Seine Saint-Denis où, en 1980, vous n’étiez pas les bienvenus ?
Nous avons un rôle social : accueillir des jeunes en un lieu où l’on n’exige pas le formatage, où l’on n’est pas rejeté par un système. Ici, on peut prendre le temps de s’intégrer. Grâce aux associations, à la proximité entre enseignants et étudiants, la diversité se vit naturellement. Sous le regard des autres, personne ne se sent différent, personne n’a besoin de justifier sa présence.