Morale, religion et sécurité…
Journaliste française depuis huit ans aux États-Unis, tenant régulièrement chronique dans notre rubrique « écologie », Hélène Crié-Wiesner livre ici ses impressions de campagne. Et un pronostic.
dans l’hebdo N° 997 Acheter ce numéro
Samedi dernier, un crachin tombait sur le downtown de Raleigh, la capitale de Caroline du Nord, je sortais d’un café. Sur un parking vide, une petite foule relax entourait un jeune homme noir qui scandait dans un micro : « Yes, we can ! » Une banderole aux armes de Barack Obama était tendue entre deux voitures, l’assistance était multicolore, jeune et vieille, ouvrière, étudiante, retraitée, normale.
À Houston, des employés de la firme Enron prient après la faillite de leur société en 2002. MATA/AFP
« On avait l’habitude de voir nos primaires ignorées, parce qu’elles intervenaient trop tard dans le processus. Tout était joué. Eh bien, cette fois, on va compter. Yes, we can. » Une jeune femme blanche prend le relais : « Je suis là pour organiser avec vous les primaires du 2 mai. Vous avez le temps de passer dans vos églises pour vérifier que tout le monde a prévu de se déplacer. Yes, we can ! » Vivas. Des bras se lèvent, et des croupes ondulent en un début de gospel. Quelques femmes noires hululent : « Oh God ! » Je soutiens Obama, mais je me sens bizarre, tout à coup.
Nous sommes dans le Sud historique, cette région qui fut le berceau de la lutte pour les droits civiques. Les gens sont ultrareligieux, les profs ont l’interdiction formelle d’évoquer les préservatifs dans les cours dits « de santé ». Mais le maire de Raleigh est démocrate, il défend la mixité sociale dans les rénovations de quartiers, et un système scolaire oblige les zones riches et pauvres à mélanger leurs enfants. Quel rapport avec les élections ? C’est que celles-ci n’ont rien à voir avec les nôtres. Rien ne se passe comme il serait logique que ça se passe.
J’en suis à ma troisième élection présidentielle aux États-Unis. En 2000, j’ai assisté à la grande farce du vote populaire confisqué. Dans la foulée, survint le drame du 11 Septembre, la crise franco-américaine sur l’Irak, et l’avènement des Freedom Fries. Inutile de dire que j’attendais les élections suivantes avec impatience : Bush allait être chassé, bien sûr !
En 2004, on comptait déjà trop de morts en Irak, l’affaire Enron venait de ruiner des milliers de retraités, le système de santé criait à l’injustice… L’effervescence régnait côté démocrate : un certain Howard Dean, pas vraiment gauchiste mais tout de même pas trop dans le moule de son parti, prenait la tête des primaires. Dean était une grande gueule, qui finit par faire peur à l’électeur démocrate moyen. John Kerry, un aristo bien élevé de la côte Est, prit la relève. Kerry était un type bien, quoique un peu ennuyeux, pondéré sur les sujets qui fâchent (le mariage gay, l’avortement) sans pour autant renier ses convictions « de gauche », et ancien combattant du Vietnam (hélas pour lui, il avait manifesté aux côtés de Jane Fonda en son temps). Face à Bush, il explosait d’intelligence dans les débats télévisés.
Kerry ne pouvait pas perdre. Il a pourtant perdu, notamment à cause de gens comme mes beaux-parents : du genre à manifester contre la guerre et à héberger des sans-papiers. Et fervents catholiques : comme des millions de citoyens détestant la gouvernance de Bush, ils n’ont sans doute (je n’en ai jamais eu la confirmation) pas pu se résoudre à voter pour Kerry, accusé de laisser aux femmes la liberté de « tuer des bébés ».
Nous sommes en 2008, les primaires démocrates font rage depuis des mois. Des sommes folles, indécentes, ont été dépensées dans le camp démocrate pour alimenter cette course fratricide, ce qui ne choque personne car il s’agit de levées de fonds privés. Les candidats sont épuisés par d’incessants débats thématiques, publics et télévisés. J’ai en mémoire un débat sur CNN à propos de la religion, où la journaliste avait demandé aux six candidats démocrates : « Combien de fois par jour priez-vous ? » J’avais aimé la réponse d’Hillary Clinton : « C’est une question privée, je n’aime pas trop m’apesantir là-dessus. » Mais les journalistes américains sont réputés ne pas lâcher le morceau : « Mais quand vous priez, que demandez-vous à Dieu ? » J’ai cru mourir de honte pour l’Amérique qui tolère ce genre de questions, et pour Clinton, qui était obligée de répondre sous peine d’être illico évincée de la course à l’investiture.
Cette fois encore, l’élection se jouera sur la morale, la religion, l’impression de sécurité et de force de caractère dégagée par l’un ou l’autre des candidats. Pas du tout sur l’économie qui croule, sur le système de santé presque impossible à réformer, ni même sur la guerre que tous aimeraient voir cesser. Encore moins sur le fait qu’un des candidats sera un Noir ou une femme. Voilà pourquoi, selon moi, McCain sera le prochain président des États-Unis.