On a oublié le méthane !
Les politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre concernent essentiellement le CO2. Or, l’impact du méthane a été bien trop minoré.
Les explications de Benjamin Dessus et Bernard Laponche*.
dans l’hebdo N° 996 Acheter ce numéro
Les émissions actuelles des gaz à effet de serre (GES) dépassent l’hypothèse la plus pessimiste du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Il faut donc les réduire massivement dans les dix à quinze ans qui viennent si l’on veut éviter la catastrophe. Mais cette question, contrairement à ce que l’on croit souvent, ne concerne pas le seul gaz carbonique (CO2), dont les volumes sont les plus importants. Il existe en effet nombre d’autres gaz dont les émissions sont responsables du renforcement de l’effet de serre : méthane (CH4), oxyde d’azote (N2O), gaz frigorigènes (CFC, notamment), etc. Chacun d’eux présente une capacité variable d’absorption du rayonnement infrarouge émis par la terre vers l’espace
[^2], ainsi qu’une durée de vie propre après son émission.
La mer de glace à Chamonix dans les années 1940 ( à gauche) et en juillet 2003 (à droite). Le plus grand glacier français a reculé de 2kilomètres durant cette période. CLATOT/AFP
Pourtant, dans la pratique, les politiques de réduction des émissions de GES ne traitent, à quelques exceptions près, que de la réduction des émissions de CO2. Celle-ci est effectivement indispensable, mais ce n’est pas une raison, comme on le fait aujourd’hui, pour négliger les autres gaz, en particulier le méthane, dont on sous-estime systématiquement les effets sur le climat pour le siècle qui vient.
En effet, pour comparer les GES entre eux, on utilise des règles d’équivalence permettant de comptabiliser leurs émissions en une unité commune : la « tonne équivalent CO2 » (teq CO2). On dit ainsi couramment que le « potentiel de réchauffement global » (PRG) du méthane (CH4) est 21 fois celui du gaz carbonique, ou encore qu’une tonne de CH4 « vaut » 21 tonnes de CO2.
Mais, tout d’abord, personne n’a encore intégré le fait que le Giec a revu à la hausse ce potentiel du méthane, de 21 à 25. Le plus important n’est pourtant pas là. Pour bien appréhender l’impact climatique réel du CH4, il faut en effet tenir compte du fait qu’il disparaît très vite : l’essentiel du réchauffement qu’il génère dans l’atmosphère intervient dans les dix ou vingt premières années qui suivent son émission. Le CO2, lui, disparaît beaucoup plus lentement : il réside encore dans l’atmosphère plus de 30 % des quantités émises deux cents ans plus tôt. Il continue donc à communiquer de la chaleur à l’atmosphère beaucoup plus longtemps que le CH4. Concrètement, cela veut dire que le PRG du méthane varie beaucoup selon la période considérée : de 25 pour une durée de cent ans, il est de 42 pour cinquante ans et de 58 pour trente ans, l’horizon que les climatologues nous signalent comme critique pour agir !
Autre paramètre très important: pour établir des prédictions pour 2100 avec leurs modèles informatisés, les scientifiques du Giec raisonnent en étudiant l’effet d’une injection ponctuelle dans l’atmosphère de certaines quantités de GES (CO2, CH4, etc.). Or, une mesure politique qui éliminerait aujourd’hui 1 000 tonnes de CH4 (par exemple) induirait un bénéfice non pas ponctuel mais sur toute la période considérée : ce sont, chaque année et jusqu’en 2100, 1 000 tonnes de CH4 qui seraient définitivement « non émises ». Conséquence : on constate qu’il faut encore multiplier par 1,5 environ les coefficients précédents pour rendre compte de l’effet réel de politiques de réduction du CH4 par rapport au CO2. Au total, à l’horizon 2040, les calculs sous-estiment d’un facteur proche de 4 l’impact d’une réduction du méthane, ce qui n’est pas rien !
C’est d’autant plus important qu’il existe de nombreuses actions, bon marché, de diminution de ces émissions à court terme. Et dans la plupart des cas, elles permettent en plus de récupérer de l’énergie. En France par exemple, il existe 400 000 tonnes de méthane à récupérer des décharges d’ordures ménagères existantes et autant des lisiers bovins et porcins. Leur capture aurait à l’horizon 2050 un effet sur la contribution de la France à la réduction du réchauffement climatique du même ordre que les gains induits par cinq réacteurs nucléaires EPR construits de toute urgence en lieu et place de centrales à énergie fossile (mi-charbon, mi-gaz), ou par une rénovation thermique lourde de 400 000 logements anciens par an pendant vingt-cinq ans !
La question prend encore plus d’ampleur dans les pays en voie de développement qui vont, selon toute vraisemblance, voir croître leurs émissions de CO2 au cours des quelques décennies qui viennent, même s’ils arrivent à faire décroître significativement l’intensité énergétique [^3] de leurs économies. Il n’est en revanche pas inéluctable que leurs émissions de CH4 suivent la même évolution.
Partout où cela est possible, des programmes mondiaux de récupération systématique du méthane des décharges, des mines de charbon, des élevages doivent donc être lancés de toute urgence. Ils ne nous dégageront évidemment pas de la nécessité absolue de politiques vigoureuses sur les émissions de CO2 (réduction dans les pays industrialisés et maîtrise pour les pays en développement), mais ils peuvent aider très sensiblement à passer le cap des années 2040 en attendant que les programmes lourds de maîtrise de l’énergie (urbanisme, logement, transports), à engager eux aussi immédiatement, donnent leur plein effet.
[^2]: Ce qui confine l’énergie dans l’atmosphère sous forme de chaleur: c’est l’effet de serre.
[^3]: La quantité d’énergie nécessaire à la croissance d’un point de produit intérieur brut.
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