Pas touche aux profs !
Les lycéens sont dans la rue et font monter la pression contre les suppressions de postes annoncées pour la rentrée. Avec les enseignants et les parents d’élèves, ils ne comprennent pas la surdité du ministère.
dans l’hebdo N° 997 Acheter ce numéro
« Réduire le volume horaire des élèves » , commandait Nicolas Sarkozy dans sa lettre de mission à Xavier Darcos. Quel meilleur moyen, en effet, d’absorber les suppressions de postes consécutives à la réduction du nombre de fonctionnaires ? Le ministre de l’Éducation s’est exécuté : 11 200 postes en moins pour la rentrée 2008, annonçait-il dès le 23 août 2007 (voir Politis n° 965). Début 2008, nouveau couperet avec la remise à chaque établissement des dotations horaires globales (DHG) pour la rentrée. « Un plan de naufrage », résume la CGT. Plan qui répercute « les restrictions budgétaires et les suppressions de postes décidées au budget 2008 » , précise l’UNL, premier syndicat lycéen. « Les classes à 35 élèves et les disparitions d’options deviendront la règle et ne permettront pas de maintenir des conditions d’étude nécessaires à la réussite de tous. »
Manifestation de lycéens à Lyon, le 27 mars, contre les suppressions de postes prévues à la rentrée 2008. KSIAZEK/AFP
Mi-mars, c’est l’embrasement : des actions naissent dans les collèges et les lycées. Les syndicats lycéens (UNL et FIDL) rejoignent ceux des professeurs (Snes, Snep, CGT, Snalc, SNCL, FO, SUD) et les comités de parents d’élèves (FCPE). Les tracts circulent, les blocages se répètent. Des blogs font le point sur les mobilisations tous les jours. Le 3 avril, il y avait entre 7 000 et 20 000 manifestants dans toute la France. Le 1er avril, la manifestation parisienne en a rassemblé près de 10 000. 10 % des établissements étaient perturbés dans l’académie de Créteil, 32 établissements dans l’académie de Versailles, 4 lycées bloqués à Paris, 93 % de grévistes au collège Las Cazes de Montpellier… « Ces défilés reviennent tous les ans ! , a tenté de minimiser Xavier Darcos, dans le quotidien gratuit 20 minutes . Il ne faut pas être dupe du discours alarmiste et mensonger de certains syndicats. Et n’exagérons pas la mobilisation des lycéens. Jeudi [27 mars], ils étaient 4 000 à défiler, sur les 450 000 lycéens que compte l’Île-de-France. Halte au feu ! »
Au lycée Alfred-Nobel de Clichy-sous-Bois, le projet de DHG pour la rentrée 2008 se traduirait par la perte de 68 heures hebdomadaires, soit trois classes de première. Dans ce « lycée expérimental Sciences-Po », plusieurs postes seraient supprimés, notamment en gestion et en histoire-géo. Suppression des options facultatives et sportives, regroupement de classes, heures supplémentaires obligatoires pour chaque professeur chaque semaine, refus d’inscription… « Ce projet, qui se pare de la vertu de la bonne gestion, analyse la CGT Éduc’action 93, est en réalité une conséquence de la volonté délibérée des gouvernements de ces dernières années de mettre en place un véritable marché scolaire, où les usagers comme les fonctionnaires, les établissements comme les filières sont mis en concurrence les uns avec les autres. » La publication par le ministère, le 1er avril, du palmarès annuel des lycées, stigmatisant certains au profit d’autres, n’a fait qu’aviver cette tendance.
Feu et contre-feu
Le 3 avril, la guerre des chiffres continuait : 40 lycées mobilisés sur 2 500, annonçait le ministère. 80, rétorquaient les mobilisés. « Difficile de savoir ce qu’il en est, reconnaît Frédérique Rolet, cosecrétaire générale du Snes-FSU. D’autant qu’une mobilisation tournante se met en place. Ce qui est sûr, c’est que le mouvement dépasse la région parisienne. » Ça remue à Grenoble, Aix-Marseille, Vitrolles, La Ciotat, Lille, Toulouse, Montpellier… « Le rapport de force nous est favorable , assurait, le 2 avril, Florian Lecoultre, président de l’UNL. Le ministre a une certaine expérience des mobilisations étudiantes et devrait savoir qu’à durcir le ton, on radicalise un mouvement. »
Xavier Darcos doit recevoir les lycéens cette semaine. Mais, pour Frédérique Rolet, il fait le pari du pourrissement : les vacances de printemps ont débuté pour la zone B et s’achèveront le 4 mai pour la zone C. « La situation ne va pas se calmer, assure cependant Jean-Jacques Hazan, secrétaire général de la FCPE. Toutes les enquêtes le montrent : les résultats de l’école en France ne sont pas bons. Or, au lieu de chercher comment inverser la tendance, le ministre réduit les moyens : on ne va pas s’en sortir comme ça ! »
Raisons démographiques
Sur les 848 835 postes à l’Éducation nationale, 11 200 devraient donc être supprimés à la rentrée 2008, dont près de 9 000 d’enseignants du secondaire. « Non renouvelés », précise Xavier Darcos, qui avance des « raisons démographiques » : « Nous avons perdu 145 000 collégiens et lycéens ces trois dernières années, et 40 600 élèves de moins sont prévus à la rentrée prochaine » . « 35 000, corrige Frédérique Rolet, du Snes, tout comme l’année dernière. Mais, sur les 9 000 suppressions, « seules » 1 500 le seront « au titre des évolutions démographiques. » » En outre, « s’il y a une baisse dans le secondaire, reprend Frédérique Rolet, il y a une forte hausse dans le primaire. Ce qui veut dire que la vague va revenir d’ici à trois ans. Or, ça se prépare, ce genre de choses. »
Mais l’heure est à la politique du court terme. Ce que le ministère prépare, ce sont de nouvelles suppressions de postes en 2009 : près de 17 000, redoute-t-on, puisque sur les 35 000 départs à la retraite de fonctionnaires, dont la moitié ne seront pas remplacés, la plupart seraient dans l’Éducation nationale. « L’État n’a plus les moyens de recruter aveuglément des enseignants », a glissé Xavier Darcos. Preuve que la démographie pèse moins dans le calcul que les nouvelles exigences comptables.
Dotation horaire globale
La dotation horaire globale (DHG) désigne le nombre d’heures d’enseignement accordées par le rectorat à chaque établissement pour chaque rentrée. Elle tombe entre janvier et mars. « Les suppressions prévues dépassent les cent heures dans certains établissements » , s’inquiétait, le 9 mars, Xavier Fernagu, président de la FCPE 78. « L’académie de Versailles subit un nombre très élevé de suppressions de postes dans les collèges et lycées d’enseignement général : près de 300 dans les Yvelines, plus de 250 dans l’Essonne, près de 200 dans les Hauts-de-Seine et le Val-d’Oise. » Près de 1 000 au total pour cette académie, d’après la FCPE des Yvelines. 177 à Paris. « Alors que les prévisions d’effectifs pour la rentrée 2008 affichent une baisse de 184 élèves dans le secondaire (collèges et lycées), soit -1 % par rapport à 2007, les Pyrénées-Atlantiques devraient perdre 66 postes en équivalent temps plein (soit -2?%), s’alarmait la FCPE 64, le 10 février 2008, avec, en contrepartie, 13 % d’heures supplémentaires annuelles (HSA). »
Heures supplémentaires
Dans la logique du « travailler plus pour gagner plus », les HSA sont présentées comme la solution aux suppressions de postes. Ainsi, aux suppressions annoncées s’ajoute la transformation de 3 500 emplois en 63 000 heures sup. Pour la FCPE 78, « l’augmentation du nombre d’HSA pourrait entraîner la suppression de postes d’enseignants : il suffit, par exemple, que 9 enseignants acceptent 4 heures supplémentaires pour supprimer 2 postes de professeur certifié ; une détérioration de la qualité d’enseignement ; une incertitude concernant les remplacements en cas d’arrêt maladie (le remplaçant acceptera-t-il les heures sup de son collègue ?) ; et l’impossibilité d’assurer les enseignements obligatoires ».
L’organisation de parents d’élèves dénonce « ces pratiques de l’Éducation nationale, qui planifie la fragilisation du fonctionnement du collège et du lycée, en leur attribuant des moyens précaires. Il y a là un risque évident que des enseignements ne soient pas ou ne soient que partiellement assurés ». Ainsi, au lycée La Fayette, à Champagne-sur-Seine (Seine-et-Marne), 9 postes sont supprimés. Le rectorat impose leur remplacement par un volant presque équivalent d’heures sup à partager entre les enseignants. Dans les Hauts-de-Seine, le taux d’heures supplémentaires atteindra en moyenne 6,5 % dans les collèges et 12,2 % dans les lycées. Pour Jean-Jacques Hazan, il s’agit de suppressions de postes « masquées » : « Les heures sup ne sont déjà pas effectuées aujourd’hui. En ajouter revient à organiser des économies futures sans le dire. »
Illustration avec un établissement qui disposerait de 800 heures d’enseignements, d’une cinquantaine de professeurs et de 140 heures sup hebdomadaires. Les 50 professeurs devant tous effectuer une heure sup (obligatoire), il en reste 90. Si une vingtaine de profs acceptent d’en faire deux, les chefs d’établissement en ont encore 40 sur les bras. « Les chefs d’établissement paniquent, les parents vont faire pression sur les profs… Et tous les enseignements seront touchés : d’abord les options, les dédoublements de classe, le travail en groupe, puis les matières où la situation est déjà tendue et les postes très découpés : physique, espagnol etc. » Autre conséquence : le recours à la vacation va se multiplier, augmentant le nombre d’emplois précaires.
La réforme du lycée
Si le ministre de l’Éducation est finalement revenu sur sa volonté de lancer dès à présent la réforme du lycée, les lycéens redoutent déjà la marche vers un bac unique, à forte tendance scientifique. Au sortir de la 3e, il faudra bientôt choisir entre celui-ci et un bac pro. En attendant, c’est le bac pro qui prend du plomb dans l’aile. Une circulaire annonce la généralisation du passage de l’examen en trois ans au lieu de quatre : 25 % à la rentrée 2008 et 100 % en 2009. Ce qui conduirait à la disparition des BEP. « Les économies en heures d’enseignement seront colossales » , explique Jean-Jacques Hazan : au moins 25 % des effectifs. Mais quid des élèves qui ne pourront boucler le cursus en trois ans et abandonneront sans diplôme ? Au sortir du lycée, une logique d’écrémage se profile : favoriser les filières courtes, sélectionner à l’entrée en IUT pour les bacs technos, instaurer des quotas en classes préparatoires…
Au-delà des profs
Sur les 11 200 suppressions de postes, près de 2 000 concernent des personnels de l’Éducation nationale. Conseillers pédagogiques, conseillers d’orientation, auxiliaires de vie scolaire, la logique est à l’externalisation. « Comme ça, on sort des statistiques et on passe l’addition au voisin » , résume Jean-Jacques Hazan. À la région ou à l’État, par exemple, qui prend en charge une partie des contrats aidés. Le 1er avril, au collège de Lédignan (Gard), 408 élèves étaient absents sur 415. Motif : à la rentrée 2007, les 13 contrats d’aide à l’emploi de 26 heures (CAE) ont été réduits à 5 contrats de 20 heures. Résultat : trop peu d’adultes pour encadrer les élèves, suppression des permanences, fermeture du CDI et du foyer des élèves, etc.
Revalorisation ou mépris ?
Dans les écoles, la logique du « travailler plus pour gagner plus » vient surtout accréditer l’idée que « les profs ne foutent rien ». « Mais trois heures supplémentaires de cours, cela revient à prendre en charge une classe de plus ! », précise Jean-Jacques Hazan. Élèves, parents et enseignants ne comprennent pas la surdité du ministère et le mépris dont il fait preuve. De revalorisation, il est pourtant beaucoup question depuis la publication d’un livre vert sur les enseignants, le fameux « rapport Pochard », dans lequel beaucoup lisent le brouillon des réformes à venir : bivalence, heures sup imposées, rémunération au mérite, évaluation par le chef d’établissement, transferts de mission comme l’orientation, logique budgétaire contrainte, individualisation des rémunérations et carrières…
Le 15 mai, le Conseil supérieur de l’éducation se réunit pour aborder d’autres sujets épineux, relatifs au primaire : retour aux enseignements fondamentaux, mise en cause de la maternelle, suppression de l’école le samedi, réintégration de l’instruction « civique et morale », évaluation des élèves en fin de CM1 et CM2… Largement de quoi rallier la grogne du secondaire. Une nouvelle journée d’action est prévue le 10 avril avant une grande mobilisation nationale, le 18 mai.