Peuvent-ils changer le monde ?
En attendant la primaire de Pennsylvanie, le 22 avril, les deux candidats démocrates sont toujours au coude à coude. Si Hillary Clinton propose un programme social plus achevé, Barack Obama apparaît plus multilatéraliste. Un dossier à lire dans notre rubrique **Monde** .
dans l’hebdo N° 997 Acheter ce numéro
Elle ou il ? Hillary ou Barack ? Leur victoire, à l’une ou à l’autre, peut-elle changer le monde ? La question a toujours quelque chose de candide. Mais George W. Bush lui a donné une certaine consistance : à sa façon, le 43e président des États-Unis a changé le monde. En devenant l’otage idéologique de deux clans, les néoconservateurs et les chrétiens fondamentalistes, il a créé aux États-Unis et dans le monde des lignes de fracture que son successeur, quel qu’il (ou elle) soit, aura du mal à colmater. Encore faut-il qu’il ou elle en ait la volonté.
L’un des deux sera-t-il le Président des États-Unis ? BECK/AFP
Si l’heureux élu est le Républicain John McCain, le changement culturel dans l’entourage du nouveau président sera sans doute important. Les chrétiens fondamentalistes, notamment, n’auront plus leurs entrées à la Maison Blanche. Mais la politique internationale ne subira pas de chamboulement. Favorable depuis le premier jour à la guerre d’Irak, McCain n’a-t-il pas envisagé récemment que les troupes américaines restent « cent ans » dans le pays ? Et, comme Bush, il ne manque pas une occasion de préparer l’opinion à une guerre contre l’Iran, allant jusqu’à confondre Al-Qaïda et le régime de Téhéran pour les besoins de sa cause.
Le changement serait évidemment beaucoup plus important si l’un des deux candidats démocrates l’emportait en novembre prochain. Ce qui est loin d’être acquis. D’autant que leur affrontement, qui se prolonge et s’intensifie, risque de faire le jeu de McCain. Mais qui, des deux, apporterait le changement le plus spectaculaire ? Le passionnant entretien avec le sociologue Éric Fassin nous livre, dans les pages qui suivent, quelques éléments de réponse.
Pour le dire en quelques mots, Hillary Clinton propose sans aucun doute un programme économique et social plus achevé et plus précis que son rival. L’ancienne « First Lady » a beaucoup travaillé, en particulier sur le système de santé. Son offre se rapproche davantage d’un service public que Reagan avait démantelé au début des années 1980, et que Bill Clinton et elle-même n’avaient pu rebâtir entre 1993 et 2000. En revanche, il est probable que Barack Obama développerait une alternative plus franche en politique étrangère. Son opposition de la première heure à la guerre d’Irak le rend plus crédible que sa rivale, qui n’a fait que se raviser tardivement. On l’imagine davantage multilatéraliste, moins naturellement partisan de la guerre punitive. Dimanche, Obama a plutôt été conforté par une étude de l’Institut de la paix américain (Usip), qui conteste les progrès politiques allégués par George Bush en Irak. L’Usip envisage, comme Obama, l’hypothèse d’un retrait militaire sans condition et presque total, mais appuyé par une offensive diplomatique pour reconstruire des alliances régionales. Ce qui peut supposer un retour au dialogue avec l’Iran. Encore faut-il que le futur président ne se heurte pas à un blocage du Sénat, à majorité républicaine. Mais Barack Obama a su lier étroitement la perspective d’un désengagement militaire avec l’amélioration de la situation économique aux États-Unis. En attendant, les deux candidats démocrates se préparent à un nouvel affrontement décisif, le 22 avril, dans l’État de Pennsylvanie.
Donné battu dans cet État, Obama a refait une grande partie de son retard, notamment en gauchisant son discours social et en obtenant le soutien de plusieurs syndicats. Il a été acclamé, le 2 avril, par les syndicalistes de l’AFL-CIO, la principale centrale américaine. Il a promis la création « de millions de nouveaux emplois » et l’investissement de 60 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie, « pour reconstruire ponts et routes » . Une thématique qui constituait jusqu’ici le point fort d’Hillary Clinton. Le sénateur de l’Illinois est pour l’instant en avance dans le décompte des délégués. Il a surtout deux autres avantages : de meilleurs sondages, et contre toute attente un trésor de guerre supérieur pour la suite de la campagne. Il a récolté 40 millions de dollars pour le seul mois de mars, soit le double de sa rivale. Mais Obama se targue d’avoir été financé par 442 000 « petits » contributeurs, ce qui lui permet d’affirmer n’être sous l’influence d’aucun lobby. On sait que ce double aspect (le poids de l’argent et des lobbies) n’est jamais négligeable dans une campagne électorale américaine. On n’arrête d’ailleurs pas le progrès : la commission électorale fédérale vient de révéler que 800 millions de dollars avaient déjà été récoltés par l’ensemble des candidats à ce stade de la campagne, contre 700 millions pour l’ensemble de la campagne de 2004… De ce point de vue, aucun des candidats n’aura changé le monde.