« Quelle réponse donner à la souffrance ?»
L’affaire Chantal Sébire a relancé le débat sur la fin de vie. Président de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, Godefroy Hirsch* dresse un état des lieux et réclame l’application de la loi Leonetti.
dans l’hebdo N° 999 Acheter ce numéro
Après l’affaire Marie et Vincent Humbert (2003), l’affaire Chantal Sébire a relancé le débat sur la fin de vie en France. Pourquoi faut-il de tels drames pour voir le sujet abordé sur la place publique ?
Godefroy Hirsch : Les médias ont une part de responsabilité dans la mise en avant de ces « affaires », plus « porteuses » que des sujets tels que l’accompagnement de fin de vie ou le fait de vieillir en maison de retraite… Comment meurt-on en France aujourd’hui ? Que signifie être atteint de maladie grave en France aujourd’hui ? Le discours sociétal sur la mort se fait sur le mode de l’immédiateté, sans se saisir de la réalité et de la complexité de la problématique de la fin de vie.
La loi Leonetti est novatrice parce qu’elle met en avant la parole et les souhaits du patient à propos de ses traitements. Huguen/AFP
Derrière le suicide médicalement assisté, l’exception d’euthanasie et les limites de la loi Leonetti, l’affaire Chantal Sébire vient aussi rappeler que cette loi, qui date du 22 avril 2005, n’est toujours pas appliquée. Pourquoi ?
La loi Leonetti, qui a bouleversé le cheminement éthique, n’est manifestement pas assez connue ! Le grand public n’a pas connaissance des solutions qu’elle propose, comme choisir une personne de confiance (un porte-parole désigné par le patient pour les moments où il ne pourrait plus communiquer) ou rédiger des directives anticipées (ce que je prévois concernant des traitements ou une abstention de traitements si je suis inconscient). Un grand nombre de professionnels de santé ne la connaissent pas assez. De ce fait, elle n’est pas assez appliquée. Le deuxième volet de la loi stipule pourtant qu’il faut, dans tous les cas, et quelle que soit la décision du patient par rapport à ses traitements, mettre en œuvre des soins palliatifs.
Cette loi est novatrice parce qu’elle met en avant la parole et les souhaits du patient à propos de ses traitements et, pour faire court, le fait qu’il faut lui obéir. En revanche, elle ne répond pas à une demande comme celle de Chantal Sébire : « Je ne suis pas en fin de vie, mais ma vie n’a pas de sens, je n’ai pas de traitements adaptés, et je veux qu’on mette fin à mes jours. » Quelle réponse la société veut-elle apporter à une telle demande de mourir ? Quelle réponse donner non pas à la douleur, mais à la souffrance de l’autre ? Précipiter la fin de la vie d’une personne est-il une solution à sa souffrance ? Le fond du débat est là, et il dépasse le champ médical.
Si les soins palliatifs étaient plus développés, y aurait-il beaucoup moins de demandes d’euthanasie ou de suicide médicalement assisté ?
Quand on prend en charge le patient et sa famille, qu’on est attentif à toutes les dimensions du soin – ce qui est de l’ordre du physique mais aussi du psychologique, du relationnel et du social –, la très grande majorité des demandes de mourir s’estompent. Car, derrière une telle demande, il y a très souvent de la souffrance, de la douleur, de l’angoisse, de l’inquiétude pour ses proches et de la détresse existentielle non prises en compte. Nous n’avons pas de réponse à tout. S’il existe des traitements pour la douleur, la prise en charge de la détresse existentielle est plus complexe. Mais l’expérience des équipes révèle que lorsqu’on essaie de répondre aux besoins des patients, la demande de mourir cesse dans la plupart des cas.
La douleur occupe-t-elle une place centrale dans l’accompagnement ?
La prise en charge de la douleur est fondamentale : quand quelqu’un souffre, inutile d’essayer de lui parler. Mais l’attention palliative ne se limite pas au traitement de la douleur. Tout ce qui s’attache à la dimension psychique est très important : être confronté à une maladie grave comme un cancer ou une sclérose latérale amyotrophique est un traumatisme considérable. L’accès à l’information sur Internet est parfois très angoissant. Ce qu’on apprend est d’une telle violence que la souffrance psychique peut être intense. De même, on ne parle jamais assez des difficultés sociales : que veut dire être atteint d’une maladie grave quand on perd son emploi ou qu’on touche 50 % de son salaire avec des enfants à charge ? La priorité, alors, n’est plus la lutte contre la maladie.
Qu’est-ce qui bloque l’application de la loi d’avril 2005 ?
D’abord, l’information n’a pas été faite dans le milieu médical. Les pouvoirs publics ont la responsabilité de faire connaître les droits des patients et des mesures comme l’interdiction de l’acharnement thérapeutique. Ensuite, ce texte vient questionner le soin en France : qu’est-ce qu’un soin adapté ? Pourquoi proposer tel soin, tel traitement ? Aujourd’hui, la médecine « fabrique » des situations extrêmement complexes, mais ne se laisse pas le temps de réfléchir.
Le Comité national de suivi du développement des soins palliatifs vient de publier son rapport. La psychologue Marie de Hennezel a remis au ministère une étude sur les soins ?palliatifs concluant à une carence généralisée. Comment se portent les soins palliatifs en France ?
Il y a eu ces dix dernières années des efforts en faveur du développement des structures. Malgré cela, peut-on parler d’équité d’accès quand certaines régions ne comptent que dix lits d’unité de soins palliatifs, ou quand certaines équipes mobiles continuent à manquer de personnels et de reconnaissance ? Il faut savoir qu’il existe, en France, 80 unités de soins palliatifs (soit environ 830 lits d’hospitalisation), dont 25 sur la région parisienne (chiffres de 2005), c’est-à-dire des services qui prennent en charge les cas les plus compliqués. Il y a, par ailleurs, près de 328 équipes mobiles, soit des équipes pluridisciplinaires qui réunissent des compétences médicales, des infirmières, des psychologues, parfois des assistantes sociales, qui viennent à la demande auprès des patients, d’une famille ou d’une autre équipe médicale. Par ailleurs, 113 réseaux de soins palliatifs existent en France.
Il est difficile d’évaluer les besoins, mais si 1 % de la population décède par an et 75 % à l’hôpital, on peut dire qu’il faudrait mettre en œuvre des soins palliatifs pour 40 % des décès, et que 10 % de ces 40 % auraient besoin d’une équipe spécialisée. Au total : des dizaines de milliers de personnes devraient bénéficier d’une attention palliative tous les ans. Nous en sommes loin !
Au lendemain de son élection à la tête de l’État, Nicolas Sarkozy a annoncé comme prioritaires des mesures comme le doublement des unités de soins palliatifs et une évaluation de la loi Leonetti. Qu’en est-il un an après ?
Je ne sais pas s’il était question des unités de soins palliatifs ou de l’offre de soins dans ce calcul. Ce qui est sûr, c’est qu’il faut accroître l’offre globale, renforcer et créer des unités de soins et des équipes mobiles. La volonté politique a été clairement affichée, nous attendons sa mise en œuvre. Mais, au-delà du volet financier, il faut absolument travailler au développement d’une « culture palliative ». Il faut que le champ de la relation à l’Autre soit davantage mis en avant. Le défi pour les futurs médecins réside dans un socle de connaissances biomédicales et biotechnologiques, mais aussi dans une capacité à développer des compétences relationnelles avec le patient et à réfléchir avec d’autres professionnels à des situations complexes, comme la fin de vie. Il y a une vraie nécessité à apprendre une démarche de questionnement et de recherche de positionnement. C’est là l’enjeu éthique de la formation des étudiants en médecine mais, plus largement, de tous les soignants.